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rivaux en négoce. Guillaume III, par le combat de la Hogue, les rend maîtres des mers. La reine Anne, par la paix d’Utrecht, leur donne Gibraltar et l’entrée de la Méditerranée ; elle leur fait céder par la France la haie d’Hudson, Terre-Neuve, l’Acadie, et obtient de l’Espagne, pour leur commerce en Amérique, des privilèges refusés aux Français.

L’Anglais restera le plus théologique des peuples ; mais dorénavant ce n’est plus le dogme, c’est l’intérêt commercial qui devient l’âme de sa politique. Les Écossais eux-mêmes, ces controversistes enragés, ces terribles ergoteurs, se laissent séduire par le charme des grandes entreprises et des gros gains, et pour contenter leurs nouvelles ambitions, ils n’hésiteront pas à faire le sacrifice de leur indépendance. En 1706, des commissaires avaient été nommés pour préparer un pacte d’union entre les deux royaumes. Les animosités, les antipathies réciproques étaient telles que personne ne croyait au succès de cette négociation. « C’était, à mon sens, une tentative désespérée, écrivait Burnet, et ceux qui en auguraient mieux que moi estimaient que les pourparlers se prolongeraient durant bien des années, et cependant tout fut terminé en un an. » Au mois de janvier 1707, peu après la bataille de Ramillies, l’acte fut passé et confirmé par la reine Anne. Les Anglais avaient pris sur eux d’accorder à l’Écosse l’égalité commerciale et de l’admettre au bénéfice de leurs expéditions d’outre-mer.

Mais cet effort de générosité leur avait semblé dur ; ils se dédommagèrent aux dépens de l’Irlande. On a dit que le commerce adoucit les mœurs et les lois ; cela n’est qu’à demi vrai : les peuples commerçans sont essentiellement jaloux, et la jalousie est la plus féroce des passions. Les Irlandais étaient infectés de jacobinisme et de papisme : ils étaient aussi des fabricans, des concurrens dangereux. On les punira de leur papisme impénitent en leur imposant un code pénal que Hallain a qualifié d’horrible statut, tremendous slatutes, et dont Burke a dit : « Toutes les lois pénales contenues dans ce code incomparable d’oppression ont été visiblement inspirées par la haine nationale et par le mépris pour un peuple vaincu que le vainqueur se plaît à écraser sous son pied. » Mais les Anglais ne se contentent pas d’écraser ces incorrigibles papistes, ils veulent se mettre à l’abri d’une concurrence qui les incommode et les alarme. On exclut les Irlandais de tout commerce colonial ; on leur interdit d’exporter du bétail en Angleterre, d’exporter sur le continent de la laine travaillée ou brute ; on ruine leurs industries, on les contraint à fermer leurs fabriques, on les condamne à l’oisiveté et à la misère, on les affame. Le peuple anglais aura toujours des passions vives et des colères rouges ; mais ses affections comme ses haines n’auront à l’avenir qu’une médiocre influence sur la conduite de ses affaires. En toute chose il consulte son intérêt ; il est devenu militaire, il se conforme à l’exemple que lui donna la