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que nous a donné le prince Gortchacow de demander directement un armistice au vainqueur, conseil que je n’ai pu me permettre d’appuyer auprès de vous, car, à mon avis, il nous vaudrait des conditions plus dures. »

Presque au lendemain du jour où ce télégramme était expédié, M. Jules Favre pouvait s’apercevoir à Ferrières que nous avions affaire à un politique réaliste, qui serait bien peu accessible aux simples inspirations du sentiment. Les portes de Paris se refermaient à son retour sur notre malheureux ministre, après son infructueuse mission. Il n’en devait plus sortir que cinq mois après, pour accomplir un acte aussi douloureux que nécessaire, celui de traiter malgré elle, et aux risques de sa vie, de la capitulation d’une ville qui était à la veille de succomber aux angoisses de la famine.

Durant le siège de Paris, mes rapports cessèrent naturellement avec M. Jules Favre, et ils se continuèrent, comme on le verra dans le cours de ce récit, avec M. de Chaudordy, chargé de la délégation des affaires étrangères à Tours et à Bordeaux. À ce moment, se place un épisode important de mon séjour en Russie, celui de l’arrivée de M. Thiers à Saint-Pétersbourg, sur laquelle je crois pouvoir donner quelques détails qui intéresseront peut-être le lecteur.


II. — ARRIVÉE DE M. THIERS A SAINT-PÉTERSBOURG

M. Thiers arriva le 26 septembre à Saint-Pétersbourg, venant directement de Londres et de Vienne, et accompagné de Mme Thiers et de Mlle Dosne, de MM. Paul de Rémusat et Trubert. Aux yeux de l’Europe et en présence de la révolution nouvelle que venait de traverser la France, il représentait une sorte d’autorité nationale avec laquelle on devait compter, sinon dans le présent qui n’était que ruine, au moins dans l’avenir plus ou moins prochain, qui pouvait être la réparation. C’en était assez pour lui assurer au dehors un accueil empressé et sympathique. Quant aux résultats de son voyage, il était malheureusement à prévoir que M. Thiers ne pourrait, malgré tous ses efforts, modifier une situation trop compromise pour qu’il fût possible d’y apporter un remède efficace, mais ce n’était pas une raison pour ne pas l’essayer, avec ou sans grand espoir de succès.

J’allai recevoir M. Thiers à la gare d’Alexandrowo, située sur le chemin de fer de Saint-Pétersbourg à Varsovie, qui touche à Tsarkoë-Selo, où la cour et le prince Gortchacow, avec une partie de ses bureaux, était établi pour la saison d’été. J’y avais