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C’est qu’ils auront donc alors dix fois, vingt fois, cent fois raison ! Mais s’ils ont raison, pourquoi mettriez-vous vos intérêts de secte au-dessus des intérêts de l’éducation nationale. Un évêque ou un rabbin n’ont pas nécessairement tort ! et il s’en est vu dont la compétence, le désintéressement, la liberté d’esprit en matière d’éducation nationale ou d’instruction publique n’avaient rien qui fût au-dessous de l’indépendance, du libéralisme et de la science d’un maître d’école ; — ou même d’un membre de l’Institut.

Ainsi composé, le Conseil supérieur aurait alors une autorité qui lui manque, et n’ayant plus d’ailleurs sa raison d’être, son objet ou sa fin dans un secret désir d’anéantir la « concurrence», il verrait peut-être moins bien les détails des questions, mais il verrait les questions de plus haut, et vraisemblablement il en saisirait donc mieux l’ensemble. Sa grande affaire ne serait pas de remanier des programmes ou de modifier des conditions d’examen, de diviser des «licences » et de désorganiser des « baccalauréats». Questions d’éducation et questions d’instruction, voilà vingt ans qu’on les traite au Conseil supérieur comme des questions purement pédagogiques, et dans les Chambres, naturellement, comme des questions purement politiques. Un nouveau Conseil essaierait probablement de les traiter comme des questions sociales, ce qu’il ne pourrait faire qu’en étant lui-même une représentation ou en quelque sorte une délégation de la société même. J’ai surtout la confiance qu’il se ferait une autre idée, plus juste et plus large à la fois, du rôle ou, pour mieux dire, de la fonction essentielle de l’enseignement secondaire dans une démocratie ; qu’il ne permettrait pas qu’on en attaquât le principe ; et qu’en donnant leur satisfaction légitime à « des besoins nouveaux», il maintiendrait, contre ces « spécialisations » hâtives qui sont le vice de l’enseignement supérieur aussi bien que de l’enseignement primaire, les droits de la culture désintéressée. Et peut-être, puisque ni l’enseignement primaire supérieur, ni ce que j’aurais envie d’appeler l’enseignement supérieur primaire, ne saurait nous en préserver, peut-être ce nouveau Conseil nous empêcherait-il ainsi de tomber du côté où déjà nous ne penchons que trop, je veux dire du côté de l’individualisme, de l’utilitarisme, et du snobisme scientifique.


FERDINAND BRUNETIERE.