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partisan de la liberté de l’enseignement. Elle a de grands dangers, si d’ailleurs elle a quelques avantages. Mais ce n’est pas aujourd’hui la question de la « liberté d’enseignement » que je discute ; et je dis seulement que, si l’on veut attaquer la liberté d’enseignement, il n’y en a qu’une manière qui soit digne de la grandeur et de l’importance de la question même : c’est de l’aborder franchement. Si l’on substitue le certificat d’études au baccalauréat, ce ne sera pas du tout dans l’intérêt des études, mais dans une intention politique ; et il faut donc avoir le courage ou la franchise de le dire. J’ajouterai d’autre part que, dans le véritable intérêt des études, rien ne serait plus fâcheux, en ce moment, que de toucher, d’une main même délicate, à la liberté d’enseignement. Quoi que j’en pense en théorie, il nous importe à tous qu’on la respecte. Et, pour ne rien dire de tant de droits acquis qu’une décision ministérielle ou un vote des Chambres ne saurait abolir sans une criante iniquité, j’ai cette principale raison de tenir à la liberté d’enseignement qu’elle est, en ce moment, le « dernier boulevard», comme on disait jadis, ou le dernier rempart des études classiques.

En effet, quelle serait une autre conséquence, non moins fâcheuse, de la substitution du certificat d’études au baccalauréat ? On l’entrevoit sans doute, et je n’ai qu’à la préciser. C’est que les professeurs du lycée Voltaire, qui est bien un lycée de l’État, mais un lycée d’enseignement moderne, ayant, ou devant prochainement avoir, la même origine et les mêmes titres universitaires que les professeurs du lycée Condorcet ou du lycée Louis-le-Grand, qui sont des lycées d’enseignement classique, mais aussi des lycées de l’État, ils auraient donc tous les mêmes droits, ou ils seront fondés demain, à les revendiquer ; et par là, contre le vœu de l’Université, se trouverait établie l’équivalence entière de l’enseignement moderne et de l’enseignement classique. Or, sous le régime du baccalauréat, et tant qu’il durera, l’existence de l’enseignement libre est le seul obstacle qui s’oppose encore à la proclamation publique de cette équivalence. Aussi longtemps que l’enseignement libre donnera le latin pour base à ses programmes d’études, il faudra que nous l’imitions en quelque mesure dans les établissemens de l’État ; et en face du collège des Eudistes ou des Oratoriens, dans nos grandes villes, et même dans les moindres, le lycée d’enseignement moderne continuera d’être une exception. C’est justement ce que nous désirons ! Convaincu que l’on ne saurait proposer à l’instruction publique un but ou un idéal trop désintéressé, ce que nous n’aimons pas de l’enseignement appelé moderne, c’en est le caractère d’utilitarisme grossier, comme au contraire ce que nous aimons de l’enseignement classique, c’est qu’il ne saurait