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II


Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage ;


dit un proverbe classique, et c’est ainsi que, pour essayer de se débarrasser du baccalauréat, il n’est pas de reproches que ses adversaires ne lui fassent, voire de « crimes » qu’ils ne lui imputent. Mais parlent-ils sérieusement, ou se moquent-ils de nous, quand ils se plaignent, avec feu Vallès, que le baccalauréat jetterait tous les ans dans la circulation sociale, par dizaines de mille, les déclassés et les révoltés ? et comment ne voient-ils pas que ce n’est pas le procès du baccalauréat qu’ils font là, mais le procès de l’organisation et de la diffusion même de l’enseignement ? Supposé qu’en effet il y ait bientôt en France plus d’avocats que de plaideurs, de médecins que de malades, ou de professeurs que d’élèves, ce n’est pas le baccalauréat qui en est responsable, ni la manière dont on le « prépare », ni la nature des matières qui en constituent le programme, mais c’est la rage que l’on a d’appeler, d’obliger à recevoir l’enseignement plus d’ambitions que l’on n’a de moyens d’en satisfaire ; c’est la manie d’imposer le bienfait prétendu de l’enseignement à tel qui n’y songeait guère ; et, pour peupler tant de bâtimens scolaires qui ressemblent à des palais, mais qui coûtent plus cher, c’est l’habitude que l’on a prise d’appointer, comme des espèces de petits fonctionnaires, les enfans de nos lycées ou les boursiers de nos Facultés. Ajouterai-je là-dessus que ceux qui dénoncent ainsi les dangers « sociaux » du baccalauréat sont les mêmes qui réclament l’équivalence du baccalauréat de l’enseignement secondaire moderne et de l’enseignement secondaire classique ? et, si cette équivalence ne peut manifestement aboutir qu’à multiplier les « déclassés, » en les fabriquant à meilleur marché, que signifient alors tant de doléances et de déclamations ? Le mal est réel, mais il est plus profond, il est surtout plus intérieur qu’on n’a l’air de le croire ; et non seulement une mesure comme la suppression du baccalauréat n’y porterait pas de remède, mais j’ose dire qu’elle l’aggraverait.

Est-il plus juste, ou plus loyal, d’imputer au baccalauréat la décadence des études ; » et n’est-ce pas prendre ici la cause pour l’effet ou l’effet pour la cause ? Car si l’on n’a rien omis, depuis tantôt vingt ans, de ce qu’il fallait faire pour affaiblir ou désorganiser les études classiques, c’est la décadence des études qui est l’explication, non la suite, et la raison, non l’effet, de la faiblesse du baccalauréat. J’ai ouï conter que la moitié de nos élèves de seconde entrait maintenant en rhétorique sans savoir