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réalité, tandis que l’on parle d’une manière, nous voyons qu’on agit d’une autre, et, pour n’en donner qu’un exemple entre vingt, qu’est-ce que cette séparation toute nouvelle, ou plutôt cette spécialisation » des licences, que le Conseil supérieur achevait de voter l’autre jour ? En fait, c’est à dix-huit ans qu’un jeune homme qui ne connaît rien encore de ses véritables aptitudes se croit aujourd’hui suffisamment instruit de tout ce qu’il ignore ; décide qu’il fera de « l’histoire » ou des « mathématiques» ; et s’enferme pour toujours dans sa « spécialité ». Les Facultés l’y encouragent déjà de toutes les manières. Mais les Universités feront bien mieux encore, ou bien pis. Dans les conditions d’État, si je puis ainsi dire, ou elles sont déjà presque organisées, elles ne se soucieront bientôt que de préparer leurs élèves aux examens d’État. Et l’on voit venir le jour où, Dieu sait sous quel prétexte ! elles découronneront l’enseignement secondaire en lui enlevant l’enseignement de la « rhétorique » et de la « philosophie » pour, de désintéressé qu’il est encore, achever de le rendre professionnel et préparatoire. C’en sera fait ce jour-là de l’enseignement secondaire ; c’en sera fait de « la culture générale », et, — n’était que je serais entraîné trop loin aujourd’hui si je voulais le montrer, — je dirais volontiers : c’en sera fait de l’éducation « des classes moyennes ».

Est-ce là ce que l’on souhaite ? Mais en tout cas, de réforme en réforme, c’est où l’on s’achemine. « Il est temps, s’écriait jadis un fougueux publiciste, il est temps de précipiter les inutiles du sommet où la Révolution française les a laissés, mais où l’évolution économique du XIXe siècle doit enfin les atteindre... A-t-on le droit d’employer l’argent des contribuables laborieux à faire des parasites et des déclassés ?... N’est-ce pas une injustice envers le commerce et l’industrie que d’écrémer la jeunesse au profit du barreau et de la bureaucratie ?... Nous avons, par nos lois comme par nos mœurs, maintenu la fausse hiérarchie de l’ancien régime... Il est temps de remettre les gens à leur place, de glorifier le travail fécond, d’apprendre à la jeunesse que l’aristocratie des arts libéraux n’est plus de notre siècle. » Il ne s’adressait point à des sourds, et son conseil a été entendu. Le « travail fécond, » c’est, aux yeux de nos politiciens, le travail dont les produits s’échangent immédiatement contre une douzaine de chemises ou une paire de souliers ; c’est le travail dont le rendement s’évalue hic et nunc en pièces de cent sous. Et pour en venir à mon second point, si vous cherchez la raison de l’espèce de haine dont on est animé, — mais surtout dans nos futures Universités, — contre le baccalauréat, vous la trouverez là.