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donnerait la force de résister au découragement qu’ils devaient éprouver en présence d’aussi formidables désastres. De nouveaux venus n’auraient eu ni l’expérience, qui ne s’improvise pas, ni l’avantage de relations établies avec les puissances et la société étrangère au milieu de laquelle ils avaient été appelés à résider.

Telles furent, pour ne parler que des principaux postes, les inspirations qui dirigèrent le nouveau ministre et auxquelles obéirent de leur côté, à Londres M. Tissot ; à Vienne, le comte de Mosbourg ; à Rome, le comte Lefebvre de Béhaine ; à Madrid, M. Bartholdi. La Suisse, la Grèce, les États-Unis et le nouveau royaume d’Italie ayant reconnu ou allant reconnaître le gouvernement de la Défense nationale, on put envoyer ou maintenir auprès de ces divers États des agens avec le grade de ministre, tandis que les autres demeurèrent avec le simple titre de chargés d’affaires. En Italie on envoya comme ministre, M. Senard, qui fut remplacé peu de temps après par M. Rothan ; en Suisse, le marquis de Châteaurenard. Le baron Baude, ministre en Grèce ; le comte Armand, ministre à Lisbonne ; le vicomte Treilhard, ministre aux États-Unis ; le vicomte de Saint-Ferriol, ministre à Copenhague et M. Fournier, ministre en Suède, conservèrent leurs fonctions.

Les mêmes raisons, qui avaient fait rechercher dans presque tous les postes par le nouveau ministre des affaires étrangères le concours des anciens agens ou des premiers secrétaires d’ambassade, s’imposaient avec plus de force peut-être à Saint-Pétersbourg que partout ailleurs. Les liens de toute nature qui unissaient la Prusse et la Russie devaient nous faire attacher un grand intérêt à être renseignés sur les dispositions du tsar. Aussi, après la démission de l’ambassadeur, était-il naturel que le nouveau ministre fît, par l’intermédiaire de M. de Chaudordy, appel au dévouement du premier secrétaire de l’ambassade. Il lui répondit le 7 septembre par le télégramme suivant :

« Le général Fleury vient de me communiquer votre dépêche. Les circonstances sont telles que je croirais manquer de patriotisme en refusant les fonctions dont vous me chargez. C’est un poste de lutte qu’il ne me paraît pas possible de déserter en ce moment. »

Toutefois, avant de m’engager dans cette voie et d’accepter l’investiture d’un gouvernement dont l’origine ne m’était pas sympathique, je crus devoir aller trouver le prince Gortchacow et lui parler avec une entière franchise. Dans les circonstances d’une gravité exceptionnelle que nous traversions, il ne m’était possible de rendre de services qu’autant que l’Empereur Alexandre et le chancelier jugeraient ma présence utile à Saint-Pétersbourg