Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/63

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la force des choses ouverte tout au moins jusqu’à la mission de notre premier ambassadeur après la guerre, et une réserve plus longue de ma part ne s’expliquerait pas. Ces encouragemens, venus de divers côtés, m’ont déterminé à publier ces souvenirs.

Le lecteur verra, en les parcourant, que la vérité historique m’a seule préoccupé et que je me suis tenu, autant que possible, en dehors de l’esprit de parti. Je dis ce que j’ai vu, là où le hasard des événemens m’avait placé, je le dis sans complaisance, et, je crois pouvoir le dire, sans injustice pour personne. De Saint-Pétersbourg pendant la guerre, et de Berlin après la signature de la paix, j’ai pu observer de très près les évolutions diplomatiques qui ont permis aux puissances neutres d’assister impassibles à notre démembrement. La responsabilité est lourde pour elles, et tout le monde, sauf le vainqueur, en a souffert : l’Europe dans sa dignité qui a reçu une grave atteinte, la France dans sa puissance qu’elle n’a pas su maintenir. Cette publication est donc une déposition nouvelle à placer dans le dossier du futur historien qui aura pour mission, quand les passions contemporaines seront calmées, de vérifier définitivement les faits et de contrôler tous les témoignages.


I. — LA RUSSIE ET LA RÉVOLUTION DU 4 SEPTEMBRE

La Révolution du 4 septembre, à laquelle remontent ces souvenirs, causa plus d’inquiétude que de surprise à Saint-Pétersbourg. Avant même la journée de Sedan, et depuis la bataille de Saint-Privat, suivie de l’investissement de Metz, les rapports venus de Paris faisaient présager la chute de l’Empire. Personne, en Europe, ne pouvait y demeurer indifférent. Au point de vue extérieur, on était en droit de se demander si cet événement mettrait fin à la guerre, ou s’il imprimerait, au contraire, à la lutte engagée un caractère de plus grand acharnement. Au point de vue intérieur de chaque État, il était important de savoir quel gouvernement se donnerait ou subirait la France. La perspective de la République effrayait généralement l’Europe monarchique. Il ne serait pas juste de dire qu’elle regrettât l’Empire, dont l’ascendant avait souvent excité ses défiances, mais le contre-coup des agitations inhérentes au nouveau régime de la France devait la préoccuper. La Russie, en particulier — sans être aussi impressionnable qu’elle s’était montrée sous l’empereur Nicolas en 1830 et en 1848 — redoutait la contagion des idées révolutionnaires qui pouvaient trouver un écho en Pologne. Au point de vue de notre défense intérieure, on se demandait, avec toute raison, si un