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noircit-il du papier sans nécessité, pour le seul plaisir de défendre quelque thèse originale, et encore excuse-t-il son amusant badinage par l’ennui qu’il éprouve loin de la capitale, par le besoin qu’il ressent de se distraire un peu. Lettres neuves et plaisantes, où l’exilé s’élève contre l’admiration banale du public pour la Provence, boutades antiméridionales qu’on croirait signées d’un écrivain passé maître ès railleries ou paradoxes, d’un Gautier ou d’un Petrus Borel, et qui sont tout simplement du fashionable et du « lion » par excellence : Eugène Chapus.

Chapus était en relations avec Renduel depuis 1831, l’année où avait paru son premier roman, le Caprice : il avait reçu de lui la modique somme de 300 francs, dont 100 en livres, et c’était encore générosité de l’éditeur qui pouvait, en s’en tenant à la lettre du traité, payer seulement un tiers en espèces et le surplus en volumes. En 1833, Chapus avait encore vendu à Renduel sa Titime, histoire de l’autre monde ; puis, comme il désirait passer un hiver dans le Midi pour raffermir sa santé, il s’était fait attacher au cabinet particulier du préfet du Gard, M. Rivet, le même qui obtint beaucoup plus tard une notoriété de quelques mois par sa proposition en faveur du gouvernement de M. Thiers. Chapus, qui avait gardé mémoire des bons procédés de l’éditeur, usa aussitôt de sa position semi-officielle pour aider Renduel à rentrer dans une créance qu’il avait sur un libraire de Nîmes, homme de solvabilité douteuse et qui fournissait précisément de livres le préfet ; le jeune attaché n’eut pas de peine à faire comprendre au sieur P… qu’il pourrait bien donner une publicité fâcheuse à cette affaire et lui enlever ainsi la clientèle de la préfecture. Cette menace produisit quelque effet, et Chapus, tout fier du succès, écrit à Renduel, le 23 janvier 1834, qu’il espère obtenir un gros acompte dans la huitaine ; il lui expose ensuite ses démarches par le menu et lui recommande de se défier aussi bien de l’huissier que du débiteur, les deux faisant la paire. Et, de fil en aiguille :


Je me félicite d’avoir eu la pensée de vous donner de mes nouvelles, puisque cela m’a procuré l’occasion de vous être bon à quelque chose. Je souhaite que vous ne borniez pas à si peu le zèle de mon amitié. Surtout n’allez pas craindre d’être indiscret : sans connaître l’ennui, cette chose si triste qui d’ordinaire suit en croupe l’homme en voyage, le cercle de mes occupations et de mes récréations est assez restreint à Nîmes pour que je trouve beaucoup de temps à vous consacrer. Je ne demande pas mieux d’ailleurs que d’avoir une affaire chicanière à discuter : cela m’enlèvera quelquefois à cette mélancolie que vous avez si justement reconnue en moi. Oui, je suis tenté souvent de croire que j’ai le spleen, tant mes dispositions habituelles sont tristes et sombres. J’avais compté sur un séjour dans le Midi