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Eugénie Foa, Georgette Ducrest, Mme Desbordes-Valmore, Élisa Mercœur, une ou deux femmes de mérite, enfin, après tant de talens éphémères et de noms justement oubliés ! Au premier rang de ce groupe moins riche en grâces qu’en prétentions, deux romancières de race, deux femmes auteurs modèles séparées de leurs maris, coquettes enragées et correspondantes infatigables : Rosa de Saint-Surin et Juliette Bécard.

La première s’appelait de ses vrais noms Marie-Caroline-Rosalie Richard de Cendrecourt, mais elle était devenue dame de Saint-Surin par son mariage avec un bibliothécaire que ses fonctions retenaient en province et qui la laissait vivre à Paris ; d’ailleurs médiocrement jolie, avec de longues dents, mais fréquentant tous les lieux de réunions littéraires, et se faisant présenter partout, à commencer par la maison si hospitalière aux gens de lettres et aux artistes de Jullien de Paris, le fondateur-directeur de la Revue encyclopédique : elle n’avait guère plus de trente ans et jouait les grandes coquettes au naturel. Elle donnait des articles de critique littéraire au Journal des dames, à l’Écho français, elle avait su glisser aussi chez divers éditeurs quelques nouvelles ou romans : l’Opinion et l’Amour, sa première production ; le Bal des élections, qu’elle signa de trois étoiles pour exciter la curiosité par cet anonymat mystérieux, si bien dans le goût du jour ; mais sa grande ambition était de se voir éditée par Renduel. Elle poursuivait ce rêve avec obstination, mettant toutes voiles dehors et prodiguant à l’heureux libraire les grâces les plus irrésistibles de son esprit, de sa personne ; elle coquetait, minaudait, bavardait, se faisait petite-maîtresse et prenait des airs langoureux, puis se piquait, se fâchait, jouait la dépitée… et revenait toujours à l’assaut.

J’ai passé hier, monsieur, une partie de la matinée avec une personne de votre connaissance, devinez ?… Dans la musique, son nom devient le signe du ton naturel ; vous y êtes, n’est-ce pas ? Eh bien ! parlons à présent de l’émulation qu’elle m’a inspirée. Son ouvrage est déjà annoncé, m’a.-t-elle dit, dans plusieurs journaux, et, ceci pour vous, j’aurais pu le lire sur la couverture de Marie Tudor, sans mon empressement à ouvrir ce volume que M. H… a envoyé à son excellent et bon ami S

J’aurais donc lu que M. B…vous avait donné un Accès de fièvre ; le frisson que le mot seul de fièvre a causé à mon âme amollie par l’encens des fêtes, a réveillé son énergie littéraire ; j’ai passé la nuit à rêver manuscrits, et me voici avec un éditeur, non comme la femme rieuse des salons, recueillant les fleurs que l’on sème sur son passage et s’acquittant par un sourire, mais comme un auteur laborieux qui renonce aux veilles des plaisirs (du moins pour quelques jours). Toutefois, pour cela, je désire, je devrais dire : il me faut faire à moi-même une loi que je suis assurée de ne pas enfreindre dès qu’il y aura de l’honneur à remplir cette convention ; je m’épargnerai ainsi