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les classes élevées de la continuation de cette polémique qu’on aurait trouvée inopportune. Cette impression me revient de quelques côtés et j’espère la voir bientôt s’imposer dans les sphères officielles.

« Je manquerais, toutefois, à mon devoir d’informateur impartial que je tiens à remplir ici jusqu’au bout, si je ne faisais connaître à V. Exc. d’autres appréciations, malheureusement moins satisfaisantes, d’un ou deux chefs de missions diplomatiques, qui donneraient à l’incident actuel une tout autre couleur.

« M. de Bismarck, me disait avant-hier le ministre d’une des rares puissances qui nous ont témoigné pendant la dernière guerre un bon vouloir persévérant, trouve que la France se rétablit trop vite, malgré l’inévitable désarroi qui a suivi ses défaites. Les derniers incidens lui ont révélé clairement que vous vouliez une revanche. Il tient, par suite, à ne pas vous laisser le bénéfice du temps pour vous y préparer, et il a intérêt à entretenir une agitation qui amène, un jour donné, une explosion. Il compte sur les sentimens passionnés de votre pays pour lui fournir de nouveau le prétexte de se dire attaqué par vous, car, par lui-même. il pourrait difficilement entraîner l’Allemagne. Il veut vous placer dans une impasse où vous n’aurez d’issue que la guerre ou la révolution. D’autre part, le parti militaire regrette vivement l’abandon de Belfort, et il ne croira l’Allemagne en parfaite sécurité que lorsque ce côté de la frontière sera assuré comme les autres.

« Ces opinions diverses du corps diplomatique répondent, au fond, aux courans opposés qui se partagent successivement l’esprit de l’homme d’Etat qui gouverne aujourd’hui l’Allemagne. Si j’avais à exprimer mon sentiment, je dirais que ces diverses appréciations sont également vraies, suivant les jours, ou quelquefois les heures où le chancelier fédéral manifeste son action. C’est ainsi que, pendant le mois d’octobre dernier, le prince de Bismarck, à la suite de ses entretiens avec notre ministre des finances, a entrevu d’une manière à peu près distincte la terre promise de nos trois milliards. Les conséquences immédiates en ont été la convention du 12 octobre signée avec M. Pouyer-Quertier, — dont deux mois auparavant il critiquait si vivement l’attitude vis-à-vis de moi-même, et une ère d’apaisement qui a duré jusqu’au verdict de nos jurés. Aujourd’hui l’acquittement de Bertin et de Tonnelet lui donne lieu de croire que le sentiment est trop excité en France pour que le pays veuille se libérer de ses obligations envers l’Allemagne. De là le retour violent à des sentimens hostiles, qui ne s’expliqueraient pas autrement.

« Il importe donc souverainement à la France de ne pas laisser