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l’acquitter. De là son désir de voir ce gouvernement maintenu. Les contradictions de son langage à notre égard tiennent uniquement à ce qu’à certains jours, et en raison d’incidens analogues à ceux qui viennent de se produire, les Allemands se demandent si vous aurez la force de déterminer le pays à s’acquitter de sa dette. Suivant que cette conviction se maintient ou s’affaiblit dans leur esprit, Harpagon prend vis-à-vis de la pauvre Frosine l’air gai ou de méchante humeur. Si donc le gouvernement actuel était renversé, en ce moment, et si l’Allemagne ne recevait pas immédiatement les assurances les plus formelles et les plus satisfaisantes au sujet du solde final, il est certain que nos six départemens récemment évacués seraient occupés de nouveau et je n’ose pas dire que tout se bornerait là. Voilà une vérité sur laquelle il est bon que tout le monde chez nous fasse ses réflexions et qu’il était de mon devoir de vous signaler comme le résumé de mes observations à Berlin. »

Enfin le 30 décembre, je donnais l’opinion de mes collègues qui m’avaient soutenu de leurs sympathies personnelles durant toute cette crise. Elle éclaire et précise tout le débat.

« Bien que je me sois maintenu dans une réserve absolue vis-à-vis du gouvernement depuis ce fâcheux incident, je n’avais pas de motifs pour décliner sur ce sujet les entretiens des membres du corps diplomatique. La plupart d’entre eux pensent que le chancelier fédéral n’a pas agi dans une intention directement hostile à la France. Il aurait tenu, dans l’intérêt de la paix, à produire, non pas sur le gouvernement, dont le message de M. le Président de la République attestait les dispositions conciliantes, mais sur la nation française elle-même, une impression assez forte pour faire réfléchir les esprits et les amener à accepter franchement les faits accomplis. Il aurait voulu, en outre, donner satisfaction à l’opinion publique en Allemagne et à celle de Berlin, en particulier, qui avait été très surexcitée par les verdicts d’acquittement.

« Je me suis permis de faire observer à ceux de mes interlocuteurs qui paraissaient sincères dans l’expression de cette opinion, qu’en ce qui concernait la France, le prince de Bismarck se trompait complètement. Parler un tel langage à une nation comme la nôtre était une bien grande faute, et quant à l’Allemagne, au lieu de la calmer, on ne ferait que l’exciter davantage. La publication de la dépêche, immédiatement après l’acquittement du jury, n’aurait été que demi-mal ; aujourd’hui le fait de cette publication constituait un nouvel incident, cette fois à la charge de l’Allemagne qui avait pris l’initiative de l’attaque.

« Il ne paraît pas, au surplus, qu’on ait été très satisfait parmi