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gouvernement et au parti modéré la tâche impossible. Autrement, nous serions débordés par l’excitation du sentiment national, et l’Allemagne serait obligée d’aller chercher elle-même la rançon qu’elle nous aurait mis dans l’impossibilité de solder intégralement.

« M. Delbrück m’a écouté avec une extrême attention et sans m’interrompre une seule fois. Il m’a dit que le gouvernement allemand avait dû agir, comme il l’avait fait, en présence de l’excitation (malheureusement très réelle) qu’avaient produite en Allemagne les derniers incidens, mais qu’il reconnaissait la justesse et la convenance de mon langage, dont il se servirait utilement auprès du prince de Bismarck. Le gouvernement allemand désirait sincèrement la paix ; il en voulait le maintien, et c’est pour ce motif qu’il se croyait obligé de prendre certaines précautions, bien qu’il fût d’avis de ne pas se départir à notre égard de la ligne de modération et de justice que j’indiquais. Il n’hésitait pas à désavouer le mot de la Correspondance provinciale que je lui signalais. Il ne s’expliquait pas comment il avait pu être écrit. Il m’a promis de demander que les journaux officieux reçussent un mot d’ordre plus correct. Il a rendu pleinement hommage au langage du Président de la République et à la dernière partie de votre dépêche du 4 décembre dont je lui avais donné lecture. Enfin il m’a dit combien il avait toujours apprécié l’esprit de conciliation et d’entente que j’avais apporté ici dans mes rapports avec le gouvernement allemand. »

Ces explications, coïncidant avec celles que le comte Arnim transmettait directement de Paris et qu’il tenait de la bouche même de M. Thiers, amenèrent peu à peu une détente dans la situation si troublée, où nous nous trouvions engagés depuis trois semaines. Le langage de la presse officieuse devint meilleur et je n’eus plus dans ces derniers temps de ma mission que des rapports parfaitement courtois avec le gouvernement allemand.

Il m’a paru utile de faire connaître avec quelques détails ce pénible incident. Pour n’en rien laisser dans l’ombre, je tiens à donner les extraits ci-joints de deux lettres particulières que j’écrivis à M. de Rémusat le 15 et le 30 décembre, et qui sont la conclusion de ma correspondance officielle avec lui.

« Berlin, le 15 décembre 1871.

« En résumé et au point de vue pratique, notre situation vis-à-vis de l’Allemagne est celle-ci. La France représente, en ce moment, aux yeux du gouvernement allemand, une lettre de change de 3 milliards, à deux années d’échéance, signée par le gouvernement de M. Thiers, auquel il croit la volonté et le pouvoir de