« Le prince de Bismarck ne m’a pas paru mécontent de cette réponse et de mes allusions à son rôle personnel, car la franchise et même une certaine carrure de langage sont loin de lui déplaire. Il n’a plus rien ajouté sur ce chapitre, et j’ai profité de ce moment de bon vouloir pour lui demander d’obtenir du roi la concession d’une amnistie à ceux de nos prisonniers, retenus encore en Allemagne dans les forteresses, pour avoir commis des délits pendant leur captivité.
« A cet égard, M. de Bismarck me répondit que pour les soldats coupables de simples délits, on pourrait voir plus tard ce qui serait possible, mais que, quant à ceux qui avaient frappé des soldats allemands, il ne jugeait pas le moment venu de recommander au roi une mesure de clémence en leur faveur, au moment même où à Poligny, dans le Jura, ses compatriotes avaient été l’objet de mesures odieuses de la part des Français et sans empêchement ni protestation des autorités.
« Je suis revenu alors sur l’évacuation, dont cet exemple même, en supposant que la nouvelle fût confirmée, démontrait la nécessité ; mais le prince de Bismarck y a vu, au contraire, un motif de la maintenir. Que craignez-vous ? lui ai-je dit alors, en supposant même, ce que je me refuse absolument à admettre, que nous veuillons la revanche dont vous parlez et qui n’est jugée possible par personne en France, d’ici a bien longtemps ; avec notre frontière ouverte et votre mobilisation immédiate, vous aurez toujours l’avance du temps sur nous. Votre armée, je le sais depuis que je suis en Allemagne, est impatiente de rentrer dans ses foyers. Croyez-moi, l’évacuation est dans votre intérêt comme dans le nôtre. »
Le chancelier me parut un peu ébranlé dans ses idées, et il m’a dit avec une légère hésitation : « Il y a peut-être du vrai dans ce que vous dites, mais il faudrait que nous eussions confiance dans vos intentions et, ne pouvant l’avoir, nous préférons garder aussi longtemps que possible le gage que nous avons entre les mains. »
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J’ai cru utile de citer les principaux passages de cet important entretien, parce qu’il montre combien la France fut bien inspirée en ne justifiant pas par son attitude ultérieure les prévisions du chancelier fédéral. À ce moment, du reste, il faut en convenir, le prince de Bismarck parlait un peu sous l’impression du mécontentement que lui avait fait éprouver une négociation irrégulièrement conduite ; mais il exprimait, néanmoins, d’une manière précise sa façon de voir, sans en adoucir, par aucune