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la délivrance de l’Alsace-Lorraine, au sujet de laquelle j’ai prié notre chargé d’affaires de porter plainte auprès du comte de Rémusat.

« Comment voulez-vous, d’ailleurs, que nous fassions de bonnes affaires ensemble, lorsque votre ministre des finances traite avec un général qui n’est qu’un chef de corps d’armée et n’a pas de pouvoirs politiques ? Le comte Arnim était le plénipotentiaire désigné par nous pour les conférences de Francfort. A ses ouvertures, vos plénipotentiaires ont toujours déclaré depuis six semaines qu’ils étaient sans instructions. Nous ne pouvons continuer à marcher de la sorte. Aussi vais-je prier l’empereur d’envoyer le comte Arnim à Paris en mission extraordinaire, pour régler directement avec votre gouvernement toutes les questions pendantes. »

« J’ai répondu au prince de Bismarck que, sur ce dernier point, j’étais persuadé que M. Thiers et Votre Excellence seraient charmés d’entretenir des rapports avec un personnage investi de toute la confiance du chancelier. Le gouvernement ne s’était adressé au général de Manteuffel que parce qu’à Francfort et à Berlin, personne n’était en mesure de répondre aux questions urgentes qui étaient à régler entre les deux gouvernemens. J’avais reçu le matin même de Francfort une lettre de M. de Clercq, dans laquelle il m’exprimait le regret de ne pouvoir obtenir aucune réponse des plénipotentiaires allemands et me priait de faire hâter l’envoi de leurs instructions. Je demandai au chancelier la permission de lui en donner lecture, l’ayant par hasard sur moi, et c’est ce que je fis, avec son assentiment.

« Quant au reproche adressé à M. Thiers, il ne me paraissait pas davantage fondé. C’est surtout comme représentant d’une politique pacifique et pour la faire prévaloir au sein de l’Assemblée nationale que vingt-huit départemens l’avaient nommé. Quant à son pouvoir, il était sans doute combattu, comme tous les pouvoirs électifs, mais il ne l’était pas plus que ne l’avait été pendant quatre ans celui du prince de Bismarck lui-même, qui avait gouverné la Prusse avec une Chambre qui lui refusait systématiquement le budget. Nous n’en étions certes pas là, car l’Assemblée nationale ne cessait par ses votes de lui témoigner sa confiance. Il n’en avait pas toujours été de même à Berlin. Je pouvais même ajouter sans indiscrétion, car le fait était public, que la guerre de 1866 avec l’Autriche avait, dans sa pensée politique, été l’œuvre à peu près personnelle du prince de Bismarck. Ces souvenirs pouvaient être invoqués sans crainte, car ils appartenaient désormais à l’histoire.