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12 octobre ; mais il faut reconnaître néanmoins, à notre décharge, que du moment où le commandant en chef de l’armée allemande, demeuré en France, prenait sur lui de négocier une convention qui était toute à notre avantage, comme me l’écrivait M. de Rémusat, il nous était bien difficile de ne pas profiter de son bon vouloir et de supposer qu’il pût traiter, sans y être autorisé par le chancelier. Ce ne fut pas le sentiment du prince de Bismarck, et l’on va juger du degré de mécontentement qu’il en éprouva, au moment où il en eut connaissance.

A mon arrivée A Berlin, j’avais remis à M. de Thile la lettre qui m’accréditait comme chargé d’affaires auprès du ministère des affaires étrangères d’Allemagne, on sait, en effet, que les envoyés du rang d’ambassadeur ou de ministre, sont seuls accrédités auprès du souverain lui-même. Le prince de Bismarck était parti pour Varzin peu de jours avant mon arrivée, et il avait été convenu que je le verrais à son passage par Berlin, qu’il devait traverser pour se rendre aux eaux de Gastein. Je supposais que l’entrevue serait courte et de simple étiquette, mais il en fut tout autrement.

Le 12 août, je reçus de M. de Thile l’avis que le chancelier, qui venait d’arriver de Varzin, me recevrait le soir même à 9 heures. Je fus exact au rendez-vous, et je n’attendis pas une minute. A l’heure dite, j’entrai dans le cabinet du prince de Bismarck, que je trouvai en petit uniforme, suivant son usage, derrière un grand bureau. Il me reçut avec beaucoup de politesse, me pria de m’asseoir en face de lui, m’offrit un cigare, en prit un lui-même, et alors commença un entretien qui dura deux heures et dont à certains momens, au début surtout, la chaleur fut en rapport avec celle de la température extérieure. Le thermomètre marquait ce jour-là 31 degrés centigrades. J’en envoyai le lendemain le compte rendu à M. de Rémusat. Voici quelques-uns des principaux passages de cette dépêche qu’il me paraît possible de publier aujourd’hui sans inconvéniens. Ils montrent combien la sagesse de la France et des divers gouvernemens qui se sont succédé chez nous depuis cette époque, a justifié notre pays des accusations qui lui furent adressées ce jour-là, et auxquelles vingt-cinq années de paix et de relations mutuellement correctes ont complètement répondu :

« Berlin, le 13 août 1871.

« Monsieur le Ministre,

« Ainsi que j’en ai informé Votre Excellence par le télégraphe, j’ai eu hier soir avec le prince de Bismarck un entretien de près