ravageaient les côtes, où l’horrible blizzard soufflait à New-York.
Nous avions beau brûler la moitié d’un tronc d’arbre dans l’énorme cheminée du salon, nous nous apercevions que nos murs étaient de bois très mince, et la nuit, c’étaient, dehors, des mugissement, des plaintes lamentables. Le bétail, sans abri, ne se résignait pas à cette température insolite : cent chevaux en liberté, deux cents vaches, six cents porcs lâchés à travers bois, protestaient chacun en son langage contre une saison sans pareille. Il y eut des tragédies ; beaucoup de petits veaux périrent ; leurs corps traînés par une mule s’en allèrent dans la forêt servir de pâture aux vautours. Heureusement le soleil intervint bientôt ; ses chauds rayons fondirent la glace, rétablirent l’ordre et rendirent un certain repos d’esprit aux nègres qui avaient cru proche leur dernière heure. De tristes et silencieux qu’ils étaient la veille, ils reprirent leurs habitudes expansives pour raconter les aventures de ces affreuses nuits pendant lesquelles la neige avait fait irruption par les fentes de leurs cases, les forçant à dormir sous un parapluie ouvert. Il fallait les entendre, réunis autour du grand poêle dans le store et suant à grosses gouttes, car du jour au lendemain, le feu était devenu fort inutile. N’importe, ils en jouissaient délicieusement. Jamais un nègre ne se sent assez rôti.
Le changement de décor qui suivit très vite cette reprise de l’hiver devait rivaliser avec ce qu’on appelle au théâtre un changement à vue. Les eaux baissèrent, le gris mélancolique du paysage s’égaya de bourgeons d’un lilas merveilleux partout où ne se dépliaient pas les premières feuilles. Dans l’épaisseur des cannes où jadis se cachaient les esclaves marrons, on entendit des frôlemens d’ailes, des chants joyeux : le plumage métallique du martin-pêcheur étincela parmi les roseaux, des pics blancs à tête verte et rouge se mirent à marteler les arbres comme pour s’assurer qu’ils n’étaient pas morts ; les gros serpens qui, dans les bois, courent d’un arbre à l’autre, se transformèrent en lianes verdoyantes ; l’oiseau moqueur qui est le rossignol de l’Amérique commença son concert nocturne ; longtemps avant qu’il eût jeté sa première note j’avais vu voltiger l’oiseau bleu qui chez nous n’existe que dans les légendes ; il y a aussi le red bird, vêtu en cardinal. Tout ce peuple emplumé commence ses gazouillis juste à l’instant où le dog-wood se met à étoiler les bois d’une pluie de larges fleurs blanches à quatre pétales et où les buissons de roses cherokees se couvrent d’églantines monstres.
A mon regret, je ne pus attendre le plus beau moment de cette féerie, et encore moins l’éclosion du coton, blanc, me dit-on,