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— Et Paris, ajoute le colonel qui m’accompagne, cela veut dire la France.

Un cheer s’élève, tandis que mes yeux se mouillent sottement, je ne sais pas au juste pourquoi.

— Dites-leur quelques mots de français, me demande le maître d’école. Ce sera la seule fois de leur vie qu’ils entendront votre langue.

Et je reprends du fond du cœur : « Soyez reconnais sans à vos maîtres qui font tant pour vous. Aimez-les. Que Dieu vous bénisse ! »

Nouveau cheer que je m’efforcerai de mériter ensuite par une distribution de poupées aux petites filles. Et les garçons y prendront le plus vif intérêt sans mélange d’envie ; mais aucun d’entre eux, ni fille ni garçon, ne saura que le plus grand mérite de ces poupées rustiques, achetées au store de Clover Bend, est d’avoir été habillées par les doigts de fée d’Octave Thanet le romancier.

De l’école de couleur située un peu à l’écart, nous revenons par ces chemins le long desquels se balancèrent force pendus à l’époque des guérillas, incendiaires de moulins sous prétexte de patriotisme, — nous revenons, dis-je, vers l’école blanche. Là un instituteur jauni et décharné par la fièvre semble avoir à peine la force de présider une leçon de lecture. Cette fois je me garde de prendre la parole ; le colonel se met à raconter devant moi mon voyage en traçant toutes mes pérégrinations sur la carte, pour faire bien sentir aux écoliers quel honneur c’est pour eux de recevoir une visiteuse venue de si loin. Ils écoutent bouche béante, frappés de stupeur, mais personne n’est aussi stupéfait que moi-même. En entendant détailler de prétendues prouesses, auxquelles je n’avais pas eu le temps de songer jusque-là, je me sens comme terrifiée par ma propre entreprise.

L’instituteur, très poli et très doux, ne réussit pas à faire parader ses élèves comme l’a si bien fait son collègue mulâtre.

— L’autre a sur celui-ci un double avantage, m’explique ensuite le colonel, il est bien portant et moins pauvre. Songez qu’avec le peu qu’il gagne, ce malheureux doit nourrir sa femme et six enfans… Oui, un enfant de plus tous les ans ! Comment voulez-vous qu’il s’en tire ?

J’aimerais à faire connaissance avec le prédicateur ambulant, mais il est en tournée ; il ne revient guère à Clover Bend que toutes les trois semaines, tant son circuit est étendu. Le dimanche, mes amis lisent la Bible chacun chez soi, et se réunissent pour chanter des hymnes au piano. Le colonel s’y distingue. Et les hymnes son suivies, à mon intention, de mélodies nègres d’une pénétrante