au poing. Il est bon d’avoir fait la guerre avant de s’occuper d’agriculture dans des conditions semblables. Le colonel Tucker, si énergique qu’il fût, sut acquérir la réputation d’un homme juste et bon. Sous son règne, beaucoup de choses changèrent, comme me l’avaient dit avec amertume les partisans de l’ancien régime. On ne se grise plus tous les samedis, les enfans blancs et noirs vont à l’école, les hommes trouvent avantage à placer leurs économies dans un store (magasin) bien approvisionné et fort prospère ; ils participent aux bénéfices, apportent leur coton à éplucher au gin et leurs marchandises à l’embarcadère du bateau à vapeur, qui dessert d’importantes scieries, au nombre de cinq entre Newport et Portia.
Le planteur nouveau style, sans accepter toutes les responsabilités bonnes et mauvaises, inséparables de l’esclavage, qui faisaient du maître comme le chef plus ou moins humain, plus ou moins aimé d’une grande famille, accomplit certainement beaucoup de bien dans le sens moderne du mot. Il pousse au progrès, la philanthropie ne lui est pas étrangère, quoiqu’il ait l’esprit pratique. Avant tout, il donne l’exemple ; sur cette énorme plantation, c’est lui qui travaille le plus. Aujourd’hui, ses tenanciers sont nombreux et font d’assez bonnes affaires. Pour la récolte du coton, les femmes, les enfans peuvent gagner un dollar par jour s’ils sont habiles à ramasser des deux mains à la fois. Il n’y a pas de besogne qui donne moins de peine. Un bon ouvrier à Clover Bend gagne de 70 à 80 cents (sous) par jour.
Huit milles de course, pénible pour les chevaux, très intéressante en revanche pour l’étrangère qu’ils emportent à travers un si curieux inconnu. — Tout en causant, nous atteignons Clover Bend où l’opposition des maisons de bois peint, propres et solides et de certaines log-houses d’autrefois qui abritent encore quelques nègres me fait sentir tout de suite les différences entre l’ancien et le nouveau Sud. L’aspect général est celui d’un petit village ii-régulièrement éparpillé sur de grandes distances, au bord de la rivière, entre les vastes enclos bordés de barrières droites ou en zigzags (snake fences) et la forêt sans bornes. Au bord de l’eau se dresse le bâtiment le plus important de l’endroit, le store, contigu au cotton gin que révèle sa noire cheminée. On m’a montré en passant le meeting house, école et temple à la fois ; on m’indique comme une relique du passé le grand chêne vert séculaires l’ombre duquel Espagnols et Français se réunissaient pour trafiquer avant que nous eussions renoncé à nos immenses possessions du Sud, dont ni Louis XV ni même Napoléon ne semblent avoir apprécié l’étendue.