entre eux, les détails du paysage, absolument noyés aujourd’hui, deviennent distincts. Ce qui est déjà facile à reconnaître, c’est la splendeur de la végétation forestière qui résiste à l’abus non seulement de la cognée, mais de la torche. D’ordinaire les bûcherons se bornent pour aller plus vite en besogne à une entaille profonde autour du pied de l’arbre, puis on laisse le supplicié mourir d’épuisement ; quand cela ne va pas assez vite on a recours au feu. Presque jamais on ne retire les souches qui noircies, inutiles, sortent de l’eau stagnante en donnant l’idée lugubre d’un massacre récent, d’une espèce de charnier végétal.
Tout le long de la rivière Saint-Francis se poursuit une grande exploitation de bois. Les cases mobiles sont transportées ici ou là, pour la durée de tel ou tel défrichement, puis elles vont se poser ailleurs. C’est comme un camp levé à mesure que la victoire de l’homme sur la nature est accomplie. Mais la nature se défend au bord de la Saint-Francis River, car les ours traqués et presque détruits ailleurs fréquentent encore ces parages.
À la petite station de Portia nous attend une charrette découverte, haut perchée sur ses roues et crottée pourtant beaucoup au-dessus de l’essieu. On ne peut avoir de voiture propre sur des routes pareilles ; le sol en est limoneux, sans une pierre, entrecoupé de flaques d’eau profondes où les chevaux du pays, patiens et robustes, enfoncent jusqu’au poitrail. Plus d’une fois, en franchissant ces espèces de gués, nous sommes éclaboussés des pieds à la tête ; mais le colonel conduit d’une main ferme, et nous passons comme le vent par les bois et les plantations de coton, devant les pâturages remplis de vaches et de chevaux. De loin en loin s’élève le long du chemin quelque maison typique du Sud, en planches, avec un auvent avancé sur la galerie d’en bas que partage une autre galerie transversale. Ce courant d’air entretient la fraîcheur en été. Si la cabane a un petit clocher, soyez sûr que c’est une église dont la communauté est trop pauvre, trop peu nombreuse, pour pouvoir à elle seule nourrir un pasteur ; mais il y a le circuit preacher, le prédicateur ambulant qui vient par intervalles, au cours de ses laborieuses tournées, apporter la parole évangélique. Le reste du temps, les fidèles se rassemblent, confians dans la parole du Seigneur : « Partout où vous serez quelques-uns assemblés en mon nom, je serai avec vous. »
— Il en est de même à Clover Bend, m’explique Octave Thanet. Les blancs parmi nos tenanciers sont tous méthodistes ; ils ont une petite école où mon amie va enseigner souvent, et c’est dans l’école qu’a lieu le culte. Les nègres sont baptistes. Nous avons