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pape, lui conte ses inquiétudes et ne lui cache pas qu’il est las des agitations de la politique et qu’une grande situation ecclésiastique, l’archevêché de Reims, par exemple, ou le chapeau de cardinal, lui conviendrait parfaitement. Il s’adresse aussi à la reine mère ; l’avertit des dangers que la politique téméraire de Concini fait courir à elle et à ses amis ; elle en convient ; l’évêque insiste ; il parle encore de lassitude, de découragement ; il offre de céder la place à d’autres : « J’allai au Louvre, je parlai à la reine, lui fis instance de permettre à Barbin et à moi de nous retirer… Elle me dit qu’elle me répondroit dans les huit jours. Cela m’arrêta et m’empêcha d’aller parler au roi que ces huit jours ne fussent expirés, avant lesquels le maréchal fut tué. » On joue, en même temps, un jeu plus dissimulé et plus profond. Le beau-frère de l’évêque de Luçon, M. de Pont-Courlay, aborde Luynes secrètement et lui fait des offres de service au nom du secrétaire d’État. Celui-ci promet de n’agir que d’après les ordres directs du roi et de le tenir au courant de tout ce qui se fait dans l’entourage du maréchal d’Ancre. Cela ressemble fort à une trahison. Or, ces propositions sont si sérieuses qu’elles sont prises en grande considération par Luynes « comme venant de la plus saine tête du Conseil du maréchal », et que peu s’en fallut qu’elles ne modifiassent les résolutions déjà prises dans l’entourage du roi.

Concini, si aveugle qu’il soit, n’est pas dupe. Il devine qu’il se trame quelque chose. Luçon le gène dans ses projets, se met en travers de la fortification de Quillebœuf, place forte de la Normandie dont le maréchal venait d’obtenir le gouvernement et qu’il munissait, par précaution, comme la clef du royaume. Il le prend avec l’évêque sur son ton ordinaire : « Par Dieu, monsieur, lui écrit-il, je me plains de vous ; vous me traitez trop mal. Vous traitez la paix sans moi ; vous me faites écrire par la reine… Que tous les diables, la reine et vous, pensez-vous que je fasse ? La rage me mange jusqu’aux os. »

Concini se précipite ainsi vers sa perte, s’aliénant tout le monde par la fureur de ses emportemens. Quel contraste avec le procédé onctueux et félin de Luynes, « timide et soupçonneux ». Depuis des mois, celui-ci agit sur l’esprit du roi par une pression continue et caressante. L’objet des longues conversations au chevet du lit ou dans les embrasures de fenêtres est toujours le même. On montre au jeune souverain son royaume dans la main de cet étranger. On lui répète qu’il n’y a plus un grand seigneur en France qui ne soit hostile au favori de la reine mère. On excite les sentimens de jalousie qu’il garda toute sa vie à l’égard de son frère Gaston, et on lui signale les préférences de Marie de Médicis pour ce cadet. On prend le roi par ses dispositions ombrageuses,