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aucune illusion, et que le dessein du maréchal étoit de ruiner les princes pour arriver à son but, à savoir d’être connétable de France, et de régner seul sur la cour. »

On en revient toujours à ce malheureux Concini. Tous les efforts faits auprès de l’opinion, toute l’activité déployée se heurtent ã cette réflexion que c’est pour le marquis d’Ancre que l’on travaille, et que ces gens qui parlent si haut se subordonnent volontairement aux vues personnelles du favori. Les observateurs les plus réservés, comme Pontchartrain, s’expliquent encore en ce sens : « Ceux qui liront ceci noteront que les confidens du maréchal d’Ancre avoient résolu, pour maintenir ledit maréchal en son autorité et au pouvoir absolu qu’il prenoit dans le royaume qu’il étoit nécessaire d’entretenir toujours la guerre parce que le moyen qu’il avoit d’y employer ses créatures et d’y prendre telle part et l’emploi qu’il voudroit, lui donneroit et conserveroit son autorité. »

Arrivé au comble de la faveur auprès de la reine, Concini nourrissait toutes les ambitions à la fois. Il poursuivait sa vieille idée de l’acquisition d’une souveraineté indépendante sur la frontière de la France. On dit que la révolte de Bouillon lui donnait lieu de penser à Sedan. En tous cas, il ne cachait pas son désir d’être nommé connétable. Il équipait des troupes à ses frais et avait sous la main un corps de plusieurs milliers d’hommes. Il eut l’insolence d’offrir au roi le concours de cette armée dans une lettre publique, rédigée en des termes tels que le roi de France paraissait l’obligé de l’aventurier !

Il avait perdu, au début de l’année 1617, une fille qu’il aimait tendrement et qu’il comptait établir dans une des grandes familles du royaume. Sa femme était malade : « Elle est languissante ; elle va gonflant du ventre et des parties inférieures du corps, non sans grande appréhension d’hydropisie ; elle souffre beaucoup. » Le ménage était complètement détruit. Les deux associés se détestaient et ne restaient unis que pour la défense de ce qu’ils avaient acquis ensemble. Ces deuils et ces tristesses avaient rendu le maréchal irritable et sombre. Sa vanité ne connaissait plus de bornes. Au moment où le duc de Guise partait pour l’armée, il le blessa cruellement. L’ambassadeur près du pape, Tresnel, est rappelé à Paris : « Le maréchal s’exprima sur son compte avec le plus grand mépris, disant que c’étoit une bête, qu’il se moquoit de lui, qu’il l’avoit fait attendre des heures dans son antichambre. » Telles étaient ses façons habituelles de parler et d’agir. Il ne traitait pas mieux ses ministres, et même des hommes qu’il eût dû ménager. « Alberti, Alberti, mon ami, dit-il un jour, en serrant les mains de Luynes, le roi m’a regardé d’un œil