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Quant à Lesdiguières dont l’intervention en Piémont a été tout d’abord blâmée par la cour, Richelieu comprend que le coup de tête du vieux huguenot peut lui servir. Le corps d’occupation qui opère dans la haute Italie représente, en somme, le seul instrument efficace dont la France dispose dans une affaire où elle prétend s’arroger le premier rôle. Luçon tient donc en suspens l’approbation ou le désaveu que l’on réclame de la cour de France. Le roi écrit à Béthune : « Monsieur, j’ai vu par votre lettre du 29 décembre, la peine en laquelle vous êtes pour ne savoir comment vous devez vous gouverner avec M. Lesdiguières. ayant appris que Leurs Majestés n’agréent son voyage. Je n’ai rien à vous dire là-dessus sinon que votre prudence vous y fournira de plus suffisante instruction que ce qu’on vous en pourrait donner. Quant audit sieur Lesdiguières, je ne sais pas ce qu’il fera en pays où il va ; mais d’une chose suis-je bien assuré, que Sa Majesté sait bien ce qu’il doit faire, étant certain que tant s’en faut qu’elle ait approuvé son dessein, qu’au contraire elle a tâché par ses lettres et ceux qu’elle a envoyés de sa part, à l’en divertir, nonobstant quoi, il n’a pas laissé de passer outre en sa résolution. » Voilà un agent bien renseigné !… Heureusement qu’il sait lire entre les lignes, et que selon le mot même employé dans la lettre, sa « prudence » lui servira de « suffisante instruction ». Lesdiguières reçoit en même temps de la main de Richelieu des complimens d’une forme volontairement banale, mais où il trouve. en somme, tout autre chose qu’un désaveu de l’initiative prise par lui.


IV

Cependant, si le ministre qui, prématurément peut-être, assigne à la France un rôle si grand au dehors se retourne vers les affaires intérieures, il doit se sentir pris d’inquiétude et de dégoût en présence des difficultés chaque jour croissantes qui affaiblissent ou entravent son action. Les Nevers, les Bouillon, les du Maine, reprenant le rôle du prince de Condé, enfermé à la Bastille, et préludant à l’œuvre de discorde qui sera, par la suite, celle des Gaston d’Orléans, des Montmorency et des Cinq-Mars, lui donnent déjà la mesure des obstacles parmi lesquels il devra, durant toute sa vie, « marcher au but qu’il s’est proposé pour le bien de l’Etat. »

L’irritation causée par tant de passions mesquines et d’intrigues odieuses serait faite pour tendre à l’excès des nerfs plus calmes que ceux des nouveaux conseillers de la reine mère, Ils n’en