Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/487

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les remercîmens de M. Chamberlain à M. Krüger sont d’ailleurs conçus en très bons termes, et ils pourraient faire croire qu’aux émotions de ces derniers jours va succéder enfin un apaisement complet. « Cet acte, dit M. Chamberlain en parlant de la remise qu’il croit certaine du docteur Jameson aux autorités du Cap, sera un nouveau titre d’honneur pour vous. Il aura comme conséquence la paix dans l’Afrique australe et l’harmonieuse coopération des races anglo-saxonne et hollandaise, si nécessaire au développement et à la prospérité future de cette région. » S’il en est ainsi, il faudra dire qu’à quelque chose malheur est bon. Toutefois M. Krüger n’a pas encore remis le docteur Jameson aux Anglais ; il a annoncé seulement l’intention de le faire. Pour le moment, il le garde à sa disposition, et il vient de faire arrêter à Johannesburg vingt-deux chefs du mouvement révolutionnaire, accusés de haute trahison. Parmi eux se trouve le frère de M. Cecil Rhodes. C’est avec ces gages sous sa main que le président du Transvaal a ouvert une négociation avec le gouverneur du Cap. Il demande une indemnité : elle lui sera accordée. Il demande, à ce qu’on assure, l’expulsion de l’Afrique de M. Cecil Rhodes : il aura plus de peine à obtenir cette seconde satisfaction. Mais s’il est vrai qu’il demande en outre, comme paraissent le croire les journaux anglais, la modification de la convention de 1884 afin d’en faire disparaître l’article 4, il se heurtera sans doute à une opposition absolue. On avait cru, un peu trop vite peut-être, que tout était fini, et l’on voit par ce qui précède que presque toutes les questions posées sont encore pendantes. Jusqu’où le Transvaal poussera-t-il ses exigences ? Dans quelle mesure serait-il, au besoin, appuyé par le gouvernement allemand ? Nous le saurons bientôt. Une seule chose parait certaine, c’est que malgré les arméniens de l’Angleterre et malgré la précipitation avec laquelle l’Allemagne a envoyé deux croiseurs dans la baie de Delagoa, la paix n’est pas menacée. Toutefois, l’antagonisme politique des deux puissances est désormais un fait acquis. Leurs sentimens réciproques sont connus : la politique pourra de nouveau en modérer ou même en étouffer l’expression, mais il y a des choses qui, une fois dites, n’ont pas besoin d’être répétées pour n’être plus oubliées.

Francis Charmes.
Le Directeur-gérant,
Ferdinand Brunetière.