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pas la première fois qu’il le fait, car il a toujours battu les Anglais, autrefois comme aujourd’hui, et le spectacle de cette poignée d’hommes qui tient tête héroïquement et avec succès à toute la puissance britannique ne nous est certes pas indifférent. Mais nous n’avons aucun intérêt direct engagé dans l’Afrique australe, et nous ne pourrions y intervenir, même diplomatiquement, qu’au profit de l’Angleterre ou au profit de l’Allemagne. Or, nous n’avons aucun motif de le faire. Il est possible que nous en ayons plus tard ; cela dépendra de l’attitude que telle ou telle puissance, — nous n’en désignons et nous n’en excluons aucune, — pourra prendre à notre égard : les combinaisons de la politique future sont infinies, mais pour le moment très confuses. Il n’est d’ailleurs pas probable que la question du Transvaal puisse, du moins à elle seule, exercer une influence déterminante sur les rapports des puissances dans le reste du monde, ni qu’elle mette en jeu des intérêts suffisans pour que les nôtres s’y trouvent impliqués. On l’a très bien senti en France, et, à l’exception de quelques journaux auxquels leur parti pris contre l’Angleterre l’ait perdre tout sang-froid, le langage de la presse y a fait contraste avec celui qu’elle a tenu de l’autre côté du Rhin. Nous sommes restés calmes. En Allemagne, on agite passionnément, en France on discute théoriquement la question de savoir si le Transvaal est ou n’est pas vassal de l’Angleterre. Pour l’Allemagne, il est indépendant ; pour nous, il faudrait déterminer d’abord où commence et où finit la vassalité, car c’est un mol élastique. La convention de 1884 a restitué son autonomie au Transvaal, sauf sur un point où sa souveraineté se trouve limitée par le fait qu’aucun traité ou engagement ne peut être conclu par lui « jusqu’à ce que Sa Majesté la reine d’Angleterre ait donné son approbation. » Les Boërs ont sans doute le droit de préparer, de négocier des traités ; seulement, ils ne deviennent définitifs qu’avec l’approbation de la reine. Cela ne veut pas dire, comme on le soutient volontiers en Angleterre, que les relations du Transvaal avec les autres puissances doivent nécessairement passer par l’intermédiaire des agens de la reine, et l’empereur Guillaume n’a pas commis un acte contraire au droit public en écrivant directement à M. Krüger : il est d’ailleurs présumable que, si sa lettre avait dû passer par les mains des agens anglais, elle ne serait jamais arrivée à son adresse. En revanche, M. Chamberlain, en exprimant à M. Krüger la satisfaction de la reine pour la générosité de sa conduite envers le docteur Jameson, a tenu, dit-on, à confier son télégramme à sir Hercules Robinson, gouverneur du Cap, ce qui donne à croire qu’il interprète la convention de 1884 dans le sens le plus restrictif ; mais il ne semble pas qu’au premier moment et lorsqu’il craignait pour la vie de Jameson, il ait employé pour ses communications, à la vérité très urgentes, l’intermédiaire de qui que ce soit. On peut donc choisir entre les précèdent contradictoires qu’il a lui-même créés.