lée pour qu’il n’accueille pas avec la plus grande réserve ses désaveux et ses dénégations. Enfin, il prie M. Chamberlain de livrer son télégramme à la publicité. Et M. Chamberlain se trouve dans l’obligation de remercier M. Krüger. « La presse anglaise, dit-il, n’a pas ajouté foi aux rumeurs qui vous accusaient de cruauté envers les prisonniers, et, pour ma part, j’ai toujours eu confiance en votre magnanimité. » Correspondance édifiante, qui a dû coûter à l’orgueil, britannique ! On sait que M. Krüger, poussant jusqu’au bout la « magnanimité » que M. Chamberlain ne lui reconnaissait pas, à tort, a gracié ses prisonniers après leur condamnation à mort. Jusqu’ici le beau rôle est tout entier de son côté.
Il faudrait faire trop et de trop longues citations de journaux pour donner une idée des sentimens confus que cette triste aventure a fait naître dans l’âme anglaise. Nous aimons mieux reproduire le passage suivant d’une lettre que la comtesse de Warwick a adressée au journal le times. Sa douleur est mêlée d’amertume. Elle est loin de blâmer Jameson. « Quel Anglais, dit-elle, digne de ce nom et de son pays, aurait manqué de faire exactement ce qu’ont fait le docteur Jameson et ses compagnons ?… Tandis qu’il se portait au secours de femmes, ses compatriotes, avec une force de police à cheval, et après avoir déclaré qu’il n’avait aucune intention hostile contre les Boërs, il a été, à ce qu’il semble, attaqué par leur force armée… » On voit dans ce morceau le commencement de la légende qui se crée autour de Jameson. Comment a-t-on pu le soupçonner d’avoir fait acte d’agression contre le Transvaal ? Non, certes ! Seulement, il avait été appelé à Johannesburg par les uitlanders ses compatriotes, par des femmes anglaises dont la sécurité était menacée. Pouvait-il leur refuser son concours ? Mais ce qui indigne le plus la comtesse de Warwick, c’est qu’on ait pu traiter de « flibustiers » Jameson et ses camarades. Ici encore nous lui laissons la parole, car chacun de ses mots a sa valeur psychologique. « Pillards et pirates ! s’écrie-t-elle. Est-ce que des gentlemen anglais, connus personnellement de beaucoup de nous, sont des pirates de terre et des voleurs ? » Le « connus personnellement de beaucoup de nous » est typique. Quoi ! des gens de notre société, de notre connaissance, être traités de pirates ! La noble correspondante du Times s’en offense, et il est très à craindre que la générosité de M. Krüger ne soit assez mal appréciée dans le grand monde, parce qu’il a traité M. Jameson de « flibustier ». Ces Boërs sont des paysans qui n’ont aucun sentiment des nuances. Ils voient des gens entrer chez eux les armes à la main, et ils les qualifient de « flibustiers », sans se préoccuper de leur généalogie, de leur parenté, de leur situation sociale. Tous les sentimens de l’Angleterre sont froissés à la fois dans cette pitoyable affaire, les plus sérieux et les plus artificiels, ceux qui tiennent aux intérêts les plus profonds du pays et ceux qui touchent seulement aux relations mondaines. Il est