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concours de l’émeute, et même de la révolution. Mais soit que les mouvemens des uns et des autres aient été mal combinés, soit que les uitlanders aient manqué de décision au moment opportun, Jameson s’est trouvé isolé et bientôt entouré par des forces supérieures. Le nombre des morls et des blessés, beaucoup plus considérable de son côté que de celui des Boërs, permet de croire qu’il s’est comporté avec non moins d’étourderie au point de vue militaire qu’au point de vue politique. Il avait des canons dont il n’a pas su se servir. Les Boërs, armés de fusils, se sont montrés une fois de plus des tireurs incomparables : ils ont apporté à la guerre, la prudence, le sang-froid, la ténacité qui caractérisent toute leur conduite. Leur succès a été foudroyant. Jameson, forcé de se rendre, a été conduit prisonnier à Pretoria.

Nous renonçons à bien exprimer l’émotion mêlée de stupeur qui s’est produite alors en Angleterre. Elle a été encore accrue, au bout de quelques heures, par le télégramme de l’empereur d’Allemagne dont nous aurons à parler bientôt ; mais, dès le premier moment, elle a été intense et profonde autant que douloureuse. Le gouvernement a fait bonne contenance ; mieux encore, il a fait son devoir. M. Chamberlain, ministre des colonies, a télégraphié pour désavouer Jameson et lui intimer l’ordre de revenir en arrière : on sait que celui-ci avait pris ses précautions contre le télégraphe. Le haut commissaire de l’Afrique australe a envoyé au-devant de lui des émissaires qui apportaient oralement les mêmes instructions : ils ne l’ont pas atteint davantage. Enfin le gouvernement a imposé au conseil d’administration de la compagnie Sud-Africaine l’obligation de télégraphier à son tour, pour ordonner à Jameson, qui est son agent, d’avoir à rétrograder.

Mais il s’en faut de beaucoup que tous ces télégrammes aient été conçus, sinon dans le même sens, au moins dans le même sentiment, et celui de la compagnie à Charte porte tous les caractères de la contrainte dont il a été le résultat. Le conseil d’administration a pris soin de spécifier qu’il agissait « à la requête du secrétaire d’État pour les colonies et en conformité avec l’article 8 de la Charte ». C’était dire clairement qu’il était contraint et forcé. Et combien faibles et atténués sont les termes dont il s’est servi ! Le conseil charge son administrateur à Capetown « d’informer immédiatement le docteur Jameson qu’il élève des objections contre la conduite qu’il avait, disait-on, résolu de tenir, et qu’il l’invite à réintégrer immédiatement le champ d’opérations de la Compagnie. » Si Jameson n’avait prévu que des dépêches de ce style, il n’aurait probablement pas pris la peine de couper le fil du télégraphe. C’est que la compagnie Sud-Africaine, sans parler des intérêts plus ou moins considérables qu’elle espérait retirer de la tentative qu’on l’obligeait à condamner, sentait qu’elle avait pour elle, ou plutôt pour son agent trop audacieux, la plus grande partie de l’opinion. Il s’en faut de beaucoup que l’attitude résolue prise par le