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réaliser leurs programmes. Ceux qui placent le plus haut le théâtre de Dumas ne prétendent pas qu’il doive être l’immuable canon de la comédie de l’avenir. Que les méthodes qui avaient cours en 1849 aient cessé déplaire en 1896, il n’y a rien là que de très naturel. Depuis des années déjà on constate dans le public comme dans la critique une lassitude à l’égard d’un théâtre qui a fait son temps. L’attention avec laquelle les lettrés ont suivi les essais du Théâtre-Libre et la curiosité avec laquelle ils se sont enquis du théâtre étranger en est la preuve. On s’accorde à souhaiter, à espérer, à réclamer un art nouveau. Et ce qu’on s’attendait donc à trouver dans les réponses des quatre-vingt-un jeunes — ou assimilés — qui ont pris part à la consultation du Mercure de France, c’était quelques indications sur cet art.

Parcourez ces réponses. Vous y verrez qu’aux yeux de la jeune génération quelques-uns des torts qu’on ne saurait pardonner à Dumas sont : d’avoir été mulâtre et d’aucuns disent nègre, d’avoir gagné de l’argent, d’avoir été décoré, d’avoir vécu sous le second Empire, de n’avoir pas été Jules Vallès, d’avoir été dénué du frisson d’humanité soulevé dans le frisson du verbe, de ne s’être occupé ni de métaphysique ni de sociologie, d’avoir possédé des tableaux et son buste, d’avoir été compris par la critique, d’être ennuyeux, d’avoir insulté les très saintes femmes de la Commune, d’avoir collectionné les Meissonier, d’avoir eu de l’esprit, d’avoir su son métier, de n’avoir pas aimé Villiers de l’Isle-Adam, d’avoir porté une chemise rouge et des pantalons bleus, de n’avoir pas écrit en vers, de n’avoir été ni Taine ni Renan, et que les femmes de son temps portassent des crinolines. Je laisse de côté les plaisanteries faciles et qui ne veulent rien dire. Exemples : « Que pensez-vous de Dumas fils ? J’aime mieux le père. Que pensez-vous des pièces de Dumas ? J’aime mieux les préfaces. Que pensez-vous de son théâtre ? J’aime mieux ses romans. » De même les simples incongruités, celles qui consistent à comparer Dumas à Labiche ou le Demi-Monde aux Deux Orphelines. Et je n’attache pas plus d’importance qu’il ne faut à telles appréciations de la valeur de celles-ci : « Langue de modiste, boniment de perruquier, esprit de haut commis voyageur, idéologie de journaliste, passions de boulevardier, morale d’obèse grincheux… Le fils Dumas fut un sot et un hypocrite… Sa mort importe au fossoyeur et rien de plus… » Ces gentillesses, venant de ceux qui se les permettent, ne tirent pas à conséquence. Ces messieurs veulent seulement donner à entendre que leur admiration pour Dumas n’est pas sans mélange. Les épithètes à effet ne sont que pour impressionner la galerie. C’est toujours le même procédé qui consiste à entier la voix pour se donner à soi-même l’illusion de son importance. Il n’est que de savoir ce que parler veut dire. Dans certains milieux on se traite de « canailles » par