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vérité, le plaisir qu’on prend au quatrième acte de Frédégonde est tout différent de celui que donne le second acte de la Jacquerie. La sensibilité y est moins engagée ; l’intelligence y participe davantage. Moins émus, nous sommes infiniment plus intéressés, plus séduits, plus souvent ramenés surtout, après l’audition, à une lecture féconde en découvertes et en surprises. La Jacquerie nous apprend que M. Coquard peut être un musicien de théâtre ; Frédégonde nous rappelle que M. Saint-Saëns est toujours le plus grand de nos musiciens.

En dehors même du quatrième acte, une ou deux pages trahissent le maître. Je gagerais — si d’ailleurs je ne le savais certainement — qu’ils ne sont pas de Guiraud, les premiers accords du prélude, si pleins, de si haute allure, qu’ils annonçaient (les traîtres ! ) une œuvre grandiose. Il a fallu, pour les retrouver, attendre la fin de l’ouvrage et le bel anathème des évêques. Mais ce fut surtout dès le commencement du ballet qu’on reconnut le musicien d’Henri VIII. Étant donné les événemens de l’histoire, et la scène se passant aux environs de Rouen, l’on ne s’étonna pas du caractère, anglais par anticipation, de ces danses normandes. Il se pourrait cependant que le maître se fût étonné le premier, moqué même d’une chorégraphie plus que jamais invraisemblable ici, et des jupes de gaze bondissant à travers les Récits des temps mérovingiens. Écoutez cet allegro rieur, tout en trilles mordans qui pétillent aux quatre coins de l’orchestre, et dites si cette gaîté, cette malice ne rappelle pas certaines facéties musicales de M. Saint-Saëns, entre autres le piston goguenard d’Ascanio ; si tout cela enfin ne raille, et, passez-moi le mot, ne blague pas spirituellement l’absurde et poncive obligation du ballet.

Donc Brunhilda, reine d’Austrasie, victorieuse d’abord de Frédégonde, reine de Neustrie, a été ensuite vaincue par celle-ci et par Hilpérik son époux. Hilpérik ayant commis la garde de Brunhilda à son fils Mérowig, le jeune geôlier s’est épris de sa captive. D’où guerre civile et familiale, hymen entre deux batailles du jeune prince et de Brunhilda, et finalement retraite en un lieu d’asile du couple amoureux, rebelle et vaincu. Le quatrième acte de l’opéra, celui qui est beau, consiste en une scène unique entre Hilpérick et Frédégonde : scène de séduction féminine et consacrée tout entière à obtenir du roi le serment qu’il forcera l’asile de Mérowig, que le fils révolté sera jeté au cloître, et que de son front tonsuré la couronne passera sur la tête des fils de Frédégonde.

De toutes les situations de ce livret, celle de ce quatrième acte est assurément la moins éclatante, la plus nue et la plus aride en apparence ; au point de vue intérieur, au point de vue des caractères et des âmes, elle est la seule intéressante, et de beaucoup la plus musicale, ou « musicable », pour un vrai musicien. Et dès les premières