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pénétraient-ils pas aussi bien que nous la grande tristesse ; ils ne sentaient pas, comme nous le faisons aujourd’hui, le contraste de cet abandon, de cette apparence de néant avec l’abondance et la richesse de ces monumens de toute sorte, marbres sculptés, inscriptions, temples, que cette terre accumulée avait ensevelis et dont nous avons vu les débris revenir à la lumière. Malgré tout ce que depuis vingt ans la Rome actuelle a perdu de son ancienne et véritable beauté, quiconque encore maintenant a plus d’une fois contemplé, sous le rayonnant midi, les Thermes de Gara-calla, ou la Basilique de Constantin, ou la cortina du Panthéon ou les aqueducs de la campagne à la Porta Furba, loin de médire des représentations de Jean-Baptiste Piranesi les tiendra pour de fidèles, sinon exacts, interprètes de ces merveilles. Aussi vit-on cette Rome, dont le double enseignement de Winckelmann et de l’illustre graveur ravivait la majesté et l’éclat, qui possédait, originaux ou copies, tant d’œuvres inspirées du génie grec, attirer plus que jamais, lorsque s’ouvrait la seconde moitié du siècle, les admirateurs sincères, les voyageurs instruits, les collectionneurs passionnés.


I

Les Anglais surtout visitèrent Rome en grand nombre et y firent alors des achats considérables ; ils payaient fort cher ; et c’est de ce temps qu’a daté la longue tradition, aujourd’hui disparue, de leur prodigalité proverbiale.

Afin de pourvoir à la fastueuse parure de leurs opulentes résidences en Angleterre, ils avaient dans Rome des agens de leur nation ; les deux principaux furent deux artistes, Gavin Hamilton et Jenkins. peintres sans valeur, mais collectionneurs émérites. Hamilton avait commencé par acheter pour son compte, et comme par pur dilettantisme, des objets antiques bien choisis qu’il revendait honnêtement ; bientôt, sollicité par une clientèle importante, il entreprit avec un singulier bonheur des fouilles en plusieurs lieux autour de Rome ; devenu l’agent spécial de lord Shelburne, marquis de Lansdowne, il fut le principal pourvoyeur d’une de ces riches collections anglaises qui ont contribué plus tard à former le Musée britannique. Thomas Jenkins, auquel Hamilton s’associa, s’était fait banquier en même temps que collectionneur d’antiquités ; il s’était acquis une autorité réelle comme appréciateur et comme dilettante, expert surtout pour les gemmes et les pierres gravées. Le cardinal Albani, Winckelmann, Raphaël Mengs le consultaient ; Winckelmann le proposa