service à son actif. Il n’y a pas à dire ; au point de vue américain, la doctrine de Monroe n’est pas seulement légitime, elle s’impose. Cette simple constatation de fait ne saurait, toutefois, nullement préjuger la question toute différente de sa valeur internationale. J’avoue que, pour ma part, j’estime assez superflu de rechercher pédantesquement si ce principe peut rentrer dans ce cadre essentiellement mobile et flottant que l’on appelle le droit des gens. L’important, c’est, ainsi que l’a fait remarquer avec finesse un écrivain [anglais, M. Goldwin Smith, que cette fameuse doctrine est l’expression directe d’un état d’âme fixe et immuable du peuple américain. Après tout, le droit des gens, s’il correspond à quelque réalité pratique, doit tenir compte, encore plus que de prétendues lois que personne n’a édictées et qui sont dépourvues de toute sanction, des faits généraux, élémentaires, permanens, des données fondamentales de la psychologie des nations. De cet ordre est pour les Américains la doctrine de Monroe. Elle participe du caractère d’un palladium national. Il n’est pas jusqu’à certaines objections, même fondées, certaines critiques, même justes, qui ne contribuent à lui donner cette prise sur l’esprit public. On a fait observer avec beaucoup de justesse que la revendication par les États-Unis d’un droit de défense et de patronage sur tous les États de l’Amérique impliquait à tout le moins une obligation et une responsabilité correspondantes à l’égard de cette clientèle. Jusqu’ici le gouvernement de Washington n’a pas fait mine de se préparer à assumer cette tutelle compromettante ; mais l’opinion, qui ne finasse pas tant, ne serait nullement éloignée d’accepter une charge où elle voit avant tout l’avantage d’une hégémonie réelle sur les deux continens américains. Naguère M. Blaine, reprenant une idée chère à ce grand Américain, Henry Clay, avait renoué à Washington le fil des discussions de ce congrès de Panama depuis longtemps interrompu et qui devait aboutir, dans la pensée de ses auteurs, à la formation d’un lien fédératif entre tous ces États. Il serait piquant qu’en croyant pousser un argument contre la doctrine de Monroe, lord Salisbury, ou tel autre polémiste distingué, travaillât en fait à réaliser ce cauchemar des nations qui ont des Canada ou d’autres colonies impériales au nouveau monde : la constitution d’une grande Amérique, unie et unitaire, sous l’hégémonie de l’oncle Sam.
On a essayé de mettre en tout son jour l’importance d’un article de foi politique professé par 70 millions d’hommes. Il resterait à examiner l’attitude des puissances européennes à l’égard de cette maxime d’Etat américaine. Chaque nation possède jusqu’à un certain point dans ses archives quelqu’un de ces