resterait privée de la plus belle partie de son patrimoine.
Les Etats-Unis portaient un intérêt tout spécial au sort de ces colonies insurgées. A la sympathie profonde pour une cause qui se réclamait des principes de la révolution américaine, se joignait un intérêt commercial de premier ordre ; la liberté du trafic était étroitement liée au triomphe de la liberté politique. Par ce même motif, l’Angleterre, d’ailleurs retenue par l’esprit de ses institutions, en dépit des intérêts profondément réactionnaires de ses gouvernails les Liverpool, les Castlereagh, les Eldon, sur la pente de la complicité avec la sainte-alliance, l’Angleterre était disposée à prêter un certain appui aux colonies espagnoles. Dès 1818, lord Castlereagh avait sondé Rush, l’envoyé américain à Londres, sur un vague projet de médiation que le cabinet de Madrid lui avait suggéré. Le gouvernement de Washington se tint sur le qui-vive. Au fond il avait à louvoyer entre deux écueils. Il lui aurait presque autant déplu de voir l’Amérique espagnole libérée par l’Angleterre qu’asservie par la sainte-alliance. Aussi lorsqu’en août 1823 Canning communiqua à Rush les desseins formés en faveur de l’Espagne par les puissances alliées, Monroe s’émut vivement et cela, presque autant des intentions éminemment libérales du nouveau ministre des affaires étrangères anglais que des complots liberticides des cours continentales. Canning, qui avait apporté un esprit entièrement nouveau au Foreign Office, avait beau multiplier les protestations chaleureuses, c’était précisément son zèle qui inquiétait les hommes d’Etat de Washington non moins que les âpres ambitions des meneurs de l’Europe réactionnaire. Quand Wellington, en loyal interprète d’une pensée qui n’était pas la sienne, tint à Vérone un langage singulièrement favorable aux insurgés, quand Canning se prépara ostensiblement à suivre la politique qu’il devait résumer plus tard dans ce fameux mot, plus oratoire qu’exact : « J’ai appelé à l’existence un nouveau monde et j’ai ainsi rétabli l’équilibre de l’ancien », il devint impossible pour les Etats-Unis d’assister les bras croisés à ce spectacle.
Monroe médita longuement le grand coup qu’il voulait frapper. Il consulta son cabinet où siégeaient quelques-uns des hommes les plus éminens de son pays, — le secrétaire d’Etat John Quincy Adams, — le secrétaire de la guerre Calhoun, l’éloquent et passionné champion des États du Sud et de leur institution particulière, l’homme qui a peut-être le plus tragiquement et le plus pleinement incarné les passions, les faiblesses, les fatalités, les vices et les vertus aussi de l’esclavagisme, cette tunique de Nessus attachée pendant trois quarts de siècle aux flancs de la République. Dans tous ces esprits, il y avait d’avance