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autre part qu’il faut en chercher les motifs et pour cela il faut prendre une idée juste de ce que c’est que la doctrine de Monroe et du rôle qu’elle a déjà joué dans les relations de l’Amérique avec l’Europe et spécialement avec le Royaume-Uni.


II

Quand le président Monroe formula, dans son message du 2 décembre 1823 au Congrès, la doctrine qui devait perpétuer son nom et servir de pierre angulaire à la politique étrangère et au sentiment national de son pays, il obéissait à la fois à l’impérieuse nécessité des circonstances et à la tradition déjà fortement constituée de la grande république du nouveau monde. À cette date, l’Europe et l’univers entier étaient dominés par la sainte-alliance. Formé à l’issue des guerres que les puissances coalisées avaient livrées à la France de la Révolution et de l’Empire, ce concert d’un nouveau genre s’inspirait des deux ordres de préoccupations principales dont était rempli à cette époque l’esprit mobile, tout ensemble mystique avec sincérité et ambitieux sans bonne foi, du tsar Alexandre. Il s’agissait de constituer une ligue des grands États dirigeans, en vue de leur garantir réciproquement la sûreté de leur existence et de réaliser, sous l’égide de la Providence, la solidarité de la chrétienté. Cette espèce de société de secours mutuels ou, pour parler plus noblement, d’amphictyonie européenne, ne pouvait manquer de tomber tôt ou tard sous l’hégémonie d’une puissance vraiment prépondérante. De plus, le principe de l’intervention constante était à la base de cette création que le parti réactionnaire, alors engagé par toute l’Europe dans une lutte formidable contre les résultats de la Révolution et contre ses conquêtes pacifiques, devait naturellement chercher à enrôlera son service. Ainsi en fut-il. Chaque réunion des souverains et des principaux ministres de la sainte-alliance dans des assises solennelles et périodiques, où Alexandre paradait en roi des rois, où Metternich exerçait adroitement la dictature en soufflant à Agamemnon son rôle, — chacun de ces congrès d’Aix-la-Chapelle, de Troppau, de Laybach, de Vérone, marqua une étape dans la voie de la répression par la force des mouvemens populaires et de l’action collective ou déléguée contre les révolutions. Naples, le Piémont, l’Espagne ressentirent tour à tour les effets de ce système. Il semblait qu’une puissance ennemie du genre humain, de ses progrès et de ses franchises eût jeté sur toute l’Europe un filet à travers les mailles serrées duquel pas une tentative de libération, pas un effort émancipateur ne pût se faire jour.