Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/430

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

privé nom à la perfide Albion, — proposait l’allocation d’un petit crédit de provision de 500 millions de francs. Edison, l’ingénieux électricien, qui a évidemment trouvé le temps, entre deux découvertes scientifiques ou industrielles, d’étudier d’un peu trop près les précédens du siège de Paris et les inventions abracadabrantes des Gagne et autres doux monomanes, organisateurs de la destruction en masse des envahisseurs, énumérait une kyrielle de machines toutes plus meurtrières les unes que les autres, dont la moindre devait anéantir la flotte ou l’année de l’Angleterre. Tout cela, certes, avait son côté risible ; mais tout cela avait son aspect triste et sa gravité, — surtout si cette excitation avait éveillé un écho dans la Grande-Bretagne et si l’on s’était montré le poing de l’un à l’autre bord de l’Atlantique. Heureusement l’Angleterre ne se monta pas au diapason de l’opinion publique aux Etats-Unis. Il y a deux sentimens en présence sur l’attitude que les sujets de la reine Victoria ont adoptée dans cette crise. Les uns y voient la plus sublime manifestation de christianisme pratique, d’empire sur soi-même, de pardon des injures, de fraternité malgré tout, de courage moral, qu’il ait été donné au monde de voir. Les autres cherchent des motifs bas et vils à cette édifiante sagesse. Ils établissent des contrastes peu flatteurs entre cette façon de plier l’échine sous la volée de bois vert du Frère Jonathan et l’inflexible roideur des procédés de John Bull à l’égard du petit Portugal. Ils accusent tout net les organisateurs et les metteurs en scène de cette comédie de l’invincible amour fraternel d’avoir dépassé toute mesure, d’avoir humilié la nation et d’avoir, au fond, travaillé contre la paix, la vraie et solide paix, qui est assise sur le respect mutuel.

C’est la Saturday Review, redevenue l’organe indépendant de la haute ironie et du suprême détachement, qui a porté ce jugement sévère. « Cette semaine, lisait-on dans son numéro du 28 décembre, a été marquée par une extraordinaire explosion de sentimentalité et d’ineptie bourgeoise anglaise. Presque tous les journaux quotidiens se sont livrés à une ignoble compétition à qui surpasserait les autres en flatterie obséquieuse des Américains et en servile appréhension de la guerre… La presse américaine, du reste, avec ses rodomontades à bon marché et ses airs de matamore promptement changés en gémissemens de pénitence à cause d’un krach à la Bourse, s’est montrée presque aussi sotte. Imaginez un juif polonais, le propriétaire du New York World, écrivant à des « personnes importantes » en Angleterre pour leur demander « un message de paix au peuple américain, réponse payée ! » L’ineffable vulgarité de Jonathan et la pseudo-sentimentalité de John sont aussi écœurantes que leur querelle