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cinquante-sixième Congrès fournirait au président une occasion toute naturelle de faire la lumière sur ses véritables intentions. Son message du 3 décembre ne donna toutefois qu’une fort mince satisfaction à ces espérances. Il résumait bien dans un paragraphe spécial le texte des dépêches adressées à M. Bayard, mais cette analyse semblait ne s’en référer à la doctrine de Monroe que pour en affaiblir le sens, en rétrécir la portée et y introduire des modifications destinées à en rendre l’application impossible. Dans le cas présent ce langage paraissait prêter à l’équivoque, et de fait, M. Cleveland désirait ménager à la fois les chauvins et la justice. C’était en somme un tour de passe-passe, un élégant escamotage dont les amis de l’Angleterre crurent devoir féliciter le président qui avait si bien émoussé la pointe d’une arme dangereuse.

Telle était bien l’impression générale. Aussi, fût-ce un vrai coup de foudre dans un ciel serein que le fameux message du 17 décembre. — le document d’Etat peut-être le plus grave qui soit parti de la main d’un président des États-Unis depuis le manifeste de Lincoln relatif à l’arrestation des envoyés de la Confédération du Sud, MM. Slidell et Mason, à bord du navire anglais le Trent en 1861, ou depuis la proclamation d’émancipation en 1863. M. Cleveland commençait par affirmer solennellement le caractère sacré d’un principe « dont la mise en vigueur importe à notre paix et à notre sécurité nationale, et est essentielle pour l’intégrité de nos libres institutions et la préservation sans trouble de notre forme de gouvernement… Après cet hommage à une doctrine qui ne saurait « tomber en désuétude tant que notre République durera ». il en exposait les motifs fondamentaux : « Si l’équilibre du pouvoir, disait-il, est à juste titre un sujet de jalouse anxiété parmi les États de l’ancien monde en même temps qu’un objet de non-intervention absolue pour nous, l’observation de la doctrine de Monroe n’offre pas un intérêt moins vital pour notre peuple et son gouvernement… Pratiquement le principe pour lequel nous luttons est dans une relation particulière, sinon exclusive, avec nous. Il se peut qu’il n’ait point été admis en tout autant de termes dans le code du droit international : mais la doctrine de Monroe n’en a pas moins sa place dans le code du droit international aussi certainement et aussi sûrement que si elle y était spécifiquement mentionnée… Convaincu que la doctrine pour laquelle nous luttons est claire, et définie, qu’elle est fondée sur des considérations substantielles, que d’elle dépendent notre sécurité et notre bien-être, mon gouvernement a proposé au gouvernement de la Grande-Bretagne de recourir à l’arbitrage comme à un moyen convenable