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Je vous vois qui venez, une rose à la main,
Avec vos manteaux clairs et vos visages peints,
Toutes ; — et souriant, avant d’entrer, chacune
Met le pied sur la borne et lace son cothurne.


POUR LA PORTE DES COURTISANES


Si tu viens, un matin, rejoindre dans les villes
Toutes tes douces sœurs frivoles et futiles
Qui vendent leur beauté et donnent leur amour,
Arrête-toi devant ma porte sans retour,
Car ses battans sont faits de vitre reflétante.
Regarde-toi venir devant toi, toi que tente
Peut-être l’or déjà et le bruit du festin,
Toi qui arrives du vaste pays lointain,
Toi qui souris encor mystérieuse, et pure,
Et rousse, car l’automne est en ta chevelure,
Et les fruits de l’été à tes seins, et la mousse
Des antres fabuleux éclose à ta peau douce,
Et dans le pli secret de ta plus tiède chair
La forme des coquilles roses de la mer,
Et la beauté de l’aube, et de l’ombre, et l’odeur
Des forêts, des jardins, des algues et des fleurs :
Arrête-toi avant d’apporter cette aumône
Ineffable d’être le printemps et l’automne
À ceux qui vivent loin de l’aube et des moissons.
Ecoute-moi, tu peux t’en retourner ; sinon
Entre et je m’ouvrirai, joyeuse de te voir
Passer rieuse et double à mon double miroir.


POUR LA PORTE DES VOYAGEURS


Toi qui marchas longtemps dans l’ombre, côte à côte
Avec toi-même, ô cher Voyageur ! sois mon hôte.
Assieds-toi sur ma borne, et secoue à mon seuil
La poudre de la route où peina ton orgueil
Peut-être, et redeviens celui qui, au départ,
Souriait d’être jeune et croyait partir tard,
Toi qui reviens à l’heure où sortent les colombes !
L’aurore douce aux toits est douce sur les tombes,
Et tout matin est bon à qui vécut les soirs.
Oublie, avec la route grise et les bois noirs,