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elle, demandant assistance. Le gouvernement n’était plus aux mains de Lamartine ; à la suite de l’effroyable lutte de juin, il avait été confié au général Cavaignac.

Cette demande de secours était aussi blessante que l’avaient été les refus d’en recevoir. On ne sollicitait pas une intervention, mais une coopération à titre d’auxiliaires de l’armée piémontaise. On fixait le nombre des soldats, leur itinéraire ; on interdisait le passage par la Savoie, de crainte d’un réveil des passions annexionnistes. Notre gouvernement devait, en outre, s’engager à ne réclamer aucune cession de territoire et s’interdire toute propagande républicaine. C’était l’ultimatum d’un victorieux dictant ses conditions bien plus que la supplique d’un vaincu implorant du secours.

A côté de la demande piémontaise se produisait celle des envoyés de Venise, de Toscane et de Rome. Ce sont, disent-ils, les princes italiens alarmés de l’influence du drapeau républicain qui, trompant les peuples sur les véritables forces de leurs armées, avaient induit les Italiens à repousser les armes fraternelles de la France : maintenant, ils les réclament presque comme un droit en arguant des déclarations de Lamartine.

Mazzini, continuant sa croisade républicaine contre l’ambition monarchique de Charles-Albert, écrit de son côté à Paris : « Ne souillez pas votre drapeau en inscrivant dessus : Pour un roi. Ce roi n’a plus même la seule chose qu’il eut, la force. Venez pour le peuple italien ; c’est avec lui que vous pourrez jeter les bases d’une solide alliance ; tout le reste n’aboutirait qu’à l’anarchie pour nous, et au déshonneur pour la France. »

Mazzini avait tort de s’inquiéter. La requête du Piémont était de celles qu’un gouvernement sérieux ne discute pas. Les ministres piémontais n’osant pas insister, se rabattirent à demander qu’on leur envoyât le maréchal Bugeaud pour le mettre à la tête de leur armée. Cette proposition n’était pas plus acceptable. Envoyer un tel général à la tête d’une armée, c’était absolument comme si la nation s’engageait dans la guerre. Il n’y avait en réalité à opter qu’entre deux partis : ou intervenir résolument par une armée, à titre d’allié, ou s’abstenir de tout ce qui ne serait pas action purement diplomatique. Cavour l’avoua à la tribune : « Était-ce un acte bien convenable, dit-il, et bien habile de demander à une nation telle que la France d’intervenir dans une question comme celle d’Italie, d’entreprendre une guerre pouvant devenir européenne, en qualité de simple auxiliaire, et n’ayant dans l’entreprise qu’un rôle secondaire ? Je crois fermement que