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Enfin le chef des chartistes, O’Connor, convoque cent cinquante mille hommes aux abords de Londres, afin de se rendre à la Chambre des communes, avec une pétition monstre. Mais là ni le gouvernement ni la nation ne perdent le sang-froid. Des milliers de citoyens, s’inscrivent en qualité de constables volontaires marchant à côté de la force civique régulière et de l’armée. Ce déploiement de patriotisme anéantit le chartisme. A peine vingt-trois mille hommes se trouvèrent au rendez-vous. Dans le cortège on en compta dix-sept mille seulement, qui se dispersèrent devant le pont de Westminster, à la première sommation de la police. Albion demeura immobile sur ses ancres solides.


V

A chacun de ces ébranlemens, Palmerston craignait que, malgré la bonne volonté de Lamartine et ses efforts pour la retenir, la nation française, excitée, débordant sur l’Europe, ne se précipitât sur la Belgique ou sur le Rhin. La perspective d’un secours en Italie l’inquiétait aussi. Contrairement à l’opinion des ministres anglais, et quoiqu’il se fût porté lui-même garant, en 1847, de la domination autrichienne en Lombardie, il considérait « que les Autrichiens n’ont rien à faire en Italie et n’ont aucun droit d’y être, que leur titre étant fondé sur la force pouvait être annulé par la force[1]. » Il eût aimé à voir toute l’Italie septentrionale unie en un seul royaume comprenant le Piémont, Gènes, la Lombardie, Venise, Parme et Modène, Bologne et plus tard la Toscane, qui aurait eu la force de s’interposer entre la France et l’Autriche. Il ne cachait pas son contentement de la chute du parti du repos. « Metternich avait toujours été jaloux de tout talent, de toute connaissance chez les individus et de toute vie dans les peuples et les nations. Il avait réussi pendant un temps à barrer et à arrêter le cours du progrès humain. La merveille, c’est, non pas que la pression prolongée ait enfin rompu la digue et inondé le pays, mais que ces entraves artificielles aient produit une aussi longue stagnation[2]. »

Cependant il avait osé se prononcer ouvertement en faveur de Charles-Albert, dans la crainte de favoriser nos velléités guerrières. Il était obsédé par cette idée. Il veillait de tous les côtés à la fois afin qu’on ne nous fournît aucun prétexte plausible d’intervention. Il avait d’abord conseillé à l’Autriche de modifier son système de compression en Lombardie et de prévenir la révolte par des institutions libérales. La révolte déchaînée, il avait

  1. A lord Ponsonby, 31 août 1848.
  2. A lord Normanby, 31 mars 1848 ; à Léopold, roi des Belges, 15 juin 1848.