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les organismes des temps passés ne se liaient pas à ceux d’aujourd’hui. Ne pourrait-il pas découvrir les ancêtres des grands arbres réunis dans ses parcs de Fonscolombe et de Saint-Zacharie ? Il se mit en rapport avec M. Philippe Matheron, qu’on a nommé justement le père de la géologie provençale ; malgré ses 86 ans, le correspondant marseillais de l’Institut de France continue ses explorations et, récemment encore, il signalait, dans le Var, de gigantesques dinosauriens crétacés. Saporta alla ensuite au Jardin des Plantes de Paris ; il montra ses échantillons à Adolphe Brongniart. Il m’a plus d’une fois amusé en me racontant l’impression que lui, travailleur inconnu de province, ressentit en face de ceux qu’il appelait les maîtres de la science : « Je m’imaginais, disait-il, des dieux enveloppés de nuages comme on les représente dans les images ; leur majesté m’épouvantait. » Quoi qu’il en fût, il reçut d’Adolphe Brongniart un bienveillant accueil qui l’encouragea.

Il conquit rapidement une place importante parmi les naturalistes. Mais la réputation d’un savant, en dehors de ce petit cercle, est longue et difficile à faire ; plus il s’enfonce dans les profondeurs de la science, moins il est connu du public. Sauf pour les vulgarisateurs, la vie des naturalistes est toute d’abnégation, car elle ne rapporte le plus souvent ni honneur ni argent. Même, dans certains mondes, les chercheurs de bêtes, de plantes ou de pierres passent pour des gens bizarres, s’occupant de minuties. Il y a quelques années, nous avions à la Société géologique de France trois marquis auxquels on doit des travaux importans : c’était le marquis de Vibraye, le marquis de Raincourt et le marquis de Roys. L’un d’eux m’a dit que, dans le noble faubourg, on s’étonnait de les voir sans cesse armés d’un marteau, cassant des pierres sur tout chemin, et qu’on les appelait les trois cantonniers. J’ignore si on a donné cette dénomination au marquis de Saporta ; ce que je sais bien, c’est qu’il lui a fallu beaucoup de temps pour faire comprendre sa valeur ; il s’en est plaint à moi. Je lui ai donné le conseil d’écrire dans la Revue des Deux Mondes ; cela, je pense, a été également profitable pour la Revue, où il a mis la science en honneur, et pour lui, car on s’est aperçu alors que le collectionneur des plantes fossiles d’Aix était un puissant esprit.

Il n’a pas écrit seulement sur la paléontologie végétale, mais sur les anciens climats, l’anthropologie, la géologie ; il a publié des œuvres historiques. Il faisait des dessins d’une finesse merveilleuse et aimait les arts, sauf la musique, qu’il déclarait franchement ne pas souffrir. Il trouvait étrange de vouloir, avec des sons qui frappent le tympan, rendre des sentimens et surtout des