Les relations diplomatiques se trouvèrent ainsi rétablies sur le meilleur pied entre la Russie et la France.
Mes instructions me pressant de partir le plus tôt possible, je remis le service de l’ambassade au second secrétaire[1], qui devait être chargé de l’intérim jusqu’à l’arrivée du général Le Flo. Le jour de mon départ de Saint-Pétersbourg, je rencontrai sur la Perspective Newski un très haut personnage russe, qui me dit : « Vous serez longtemps chargé d’affaires à Berlin, car la paix actuelle n’est qu’une trêve, jusqu’à ce que la France ait repris des forces pour la prochaine guerre. — Je crois que vous vous trompez, lui répondis-je. La paix actuelle est une paix bien douloureuse, mais réelle, et malgré les apparences contraires, les deux nations voudront la conserver. Dans six mois, un an au plus, nous aurons déjà rétabli nos ambassadeurs. — Dieu vous entende, me répondit-il, mais je ne le crois pas. » L’avenir, heureusement, me donna raison.
La convenance d’attendre que la rentrée triomphale des troupes allemandes dans leur capitale et les fêtes, auxquelles cette rentrée devait donner lieu, fussent terminées avant mon arrivée, me retint à Saint-Pétersbourg jusqu’au 21 juin. Quand je traversai Berlin, d’une gare à l’autre, pour aller prendre à Versailles les instructions du gouvernement, avant d’y revenir officiellement, les canons qui nous avaient été pris pendant la guerre étaient encore rangés sur la promenade des Linden, et j’eus ainsi un premier avant-goût des pénibles devoirs qui allaient commencer pour moi ; mais, à mon retour, ils avaient disparu. En revanche, sur toute la route, je croisai, comme je l’avais présumé, un nombre énorme de wagons remplis de troupes allemandes poussant des hurrahs de triomphe. La régularité des services sur les chemins de fer n’était encore rétablie nulle part, et j’arrivai à Versailles avec des retards considérables et des difficultés de toute nature.
Je n’y passai que six jours, car le comte de Waldersee était déjà à Paris et on me pressait beaucoup de partir pour Berlin, Mais je ne voulus pas y aller, sans avoir vu un certain nombre d’hommes marquans de toutes les nuances de l’Assemblée dans laquelle résidait la souveraineté effective du pays. Je prévoyais
- ↑ Le comte de Montebello, aujourd’hui notre ambassadeur à Saint-Pétersbourg.