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son départ de Paris, à son entrée en Russie par Odessa, la voie d’Allemagne nous étant naturellement fermée. Il fallut près de quatre heures pour reconstituer le sens de la dépêche, s’assurer de son exactitude, la transcrire au net, et ce n’est que vers 9 heures qu’elle put être prête, bien que le déchiffrement eût commencé, sous mes yeux, à 5 heures un quart du matin.

Avant 10 heures, je me présentai chez le chancelier qui me reçut aussitôt. Je lui lus la lettre de M. Thiers que j’accompagnai de tous les commentaires les plus propres à l’émouvoir. Il m’y parut sensible. Quant aux conditions de paix, il n’hésita pas à reconnaître l’énormité du chiffre de la contribution de guerre, mais il ne voulut me rien dire avant d’avoir pris les ordres de l’Empereur, auquel il allait communiquer la lettre de M. Thiers. Le prince Gortchacow ajouta, toutefois, que, pour que l’Empereur pût faire une démarche utile auprès de son oncle, il eût été nécessaire qu’il connût dans son ensemble les conditions de paix que la Prusse prétendait nous imposer. Il me pria de revenir le lendemain et de lui communiquer d’ici là tout ce que je pourrais recevoir.

Malheureusement la fatalité, qui nous poursuivait toujours dans cette guerre, devait nous accompagner jusqu’au bout. Lorsque le pli du prince Gortchacow arriva au Palais d’Hiver, l’Empereur venait de partir par le chemin de fer pour aller chasser à Gatchina, et ce ne fut que le soir assez tard qu’il reçut le billet du chancelier. Or, l’armistice expirait le lendemain soir 26. Dans la journée du 25, j’avais reçu du ministre des affaires étrangères un télégramme dans lequel il me demandait la réponse au télégramme du 23. On vient de voir qu’il ne m’était malheureusement parvenu qu’avec trente-six heures de retard. J’envoyai au chancelier copie de ce nouveau télégramme, en le suppliant d’agir sans retard, et je le revis le lendemain 26, à l’heure qu’il m’avait indiquée. Voici la réponse que j’expédiai à Paris aussitôt après mon entretien avec le prince Gortchacow :


« Saint-Pétersbourg, 26 février, 11 heures et demie du matin.

« Je viens de revoir le prince. Il avait envoyé hier à l’Empereur, aussitôt après l’avoir reçue, la lettre de M. Thiers, et dans la soirée le billet que je lui avais écrit pour insister, vu l’expiration de l’armistice, sur la nécessité d’une démarche immédiate à Versailles. D’après quelques lignes de réponse adressées au chancelier, S. M. aurait paru animée d’intentions bienveillantes à notre égard, mais le prince Gortchacow n’a pu me dire quel parti avait pris l’Empereur. Connaissant la réserve extrême du chancelier sur tout ce qui touche aux démarches de son souverain, je me crois fondé à penser que S. M. aura télégraphié à son oncle, mais