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gouvernement russe. M. Thiers ne dissimulait pas, à Bordeaux, que la continuation de la résistance, qu’il avait jugée lui-même nécessaire, pendant un certain temps, pour relever l’honneur de nos armes, ne pouvait plus qu’être funeste aux intérêts du pays. On le savait à Saint-Pétersbourg ; et par suite il était facile de constater que, malgré l’admiration que causaient partout à l’étranger la prolongation du siège de Paris et les glorieux faits d’armes du général Chanzy et du général Faidherbe, sur la Loire, ou dans le Nord de la France, on ne jugeait plus que les résultats généraux de la guerre pussent en être sensiblement modifiés. Un moment, à la vérité, après les sorties du 29 novembre et du 1er décembre et jusqu’aux environs de Noël, l’inquiétude avait été assez grande à Pétersbourg dans le parti allemand, qui avait eu le tort de vouloir triompher trop tôt. Il avait cru sérieusement que tout était fini à Sedan. La légation prussienne parlait alors avec dédain de quelques bandes mal disciplinées qu’on appelait l’armée de la Loire. Or, il se trouvait que ces bandes avaient fait parler d’elles à Coulmiers, à Patay et dans d’autres lieux, d’une façon assez énergique pour qu’on dût en tenir compte. De même pour l’armée du Nord et pour celle de l’Est, où nous avions eu quelques avantages. Il régna donc, pendant un mois, à Saint-Pétersbourg une certaine appréhension sur le succès définitif, que ne dissipaient pas complètement les rapports venus du quartier général allemand et ceux des officiers généraux russes, qui se trouvaient à Versailles, d’où ils télégraphiaient leurs impressions. Si je n’avais pas eu, à cet égard, des données positives et nombreuses, sur lesquelles naturellement le secret m’est imposé, même encore aujourd’hui, le langage et l’attitude des fonctionnaires ou des personnes tenant à la cour me l’auraient suffisamment prouvé. Un petit détail assez caractéristique à relever dans cette triste époque, c’était les politesses et les attentions plus nombreuses dont nous étions l’objet, lorsque les nouvelles redevenaient meilleures pour la France. La glorieuse blessée, suivant le mot de M. Thiers, ne voulait s’avouer définitivement vaincue qu’après avoir résisté jusqu’à la fin. Il faut avoir connu ces heures sombres pour comprendre la douleur ou la joie que peut causer alternativement, à l’étranger, le contre-coup des nouvelles de la patrie.

Malheureusement, à la fin de décembre, on sut d’une manière positive à Saint-Pétersbourg que Paris, vers la fin de janvier, aurait épuisé ses dernières ressources, et tout le monde sentait que, par le fait des circonstances, la capitulation de Paris était la fin de la guerre. L’exemple de Caton épousant la cause des vaincus est je ne dirai pas unique, mais fort rare dans