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s’empêcher de croire que la crise actuelle sera résolue d’une manière satisfaisante entre les deux pays, et fera place aux sentimens de bienveillance et de chaleureuse amitié existant entre eux depuis de si longues années. » Ce télégramme a été cité par les journaux américains comme un modèle de tact.

Pendant ce temps, la diplomatie n’est sans doute pas inactive, mais elle n’a pas encore livré le secret de ses négociations. M. Cleveland a déjà nommé deux des membres de la Commission d’enquête, et il a choisi des hommes qui, par leur science du droit, leur honorabilité personnelle, leur esprit de mesure et d’impartialité, inspirent toute confiance. On assure en outre que, évidemment pour gagner du temps, la Commission se rendra d’abord à Madrid et à la Haye afin d’y examiner les vieux documens qui établissent les prétentions de l’Espagne et des Pays-Bas sur le territoire vénézuélien, prétentions transférées à l’Angleterre par le traité de Vienne. Il est probable que la Commission sera mieux reçue en Europe que dans la Guyane anglaise, si elle juge à propos d’aller y procéder à ses opérations ; elle fera bien de chercher de préférence ses preuves ailleurs et de prendre le plus long chemin avant de débarquer à l’embouchure de l’Orénoque. Il faut souhaiter que, d’ici là, l’accord ait déjà été préparé et même très avancé entre Londres et Washington. Quoi qu’il en soit, l’opinion publique anglaise vient de donner un exemple que d’autres nations feront bien de méditer. Hélas ! ce n’est pas celui que nous avons donné nous-mêmes dans des circonstances qu’il est toujours douloureux de rappeler. L’Angleterre pouvait se croire provoquée par le message de M. Cleveland ; cependant, pas une parole de haine, ni même de colère, ne s’est élevée sur tout son territoire. Elle a voulu faire tout ce qui dépendait d’elle, d’abord pour éviter un conflit que l’humanité réprouve, et s’arranger, dans tous les cas, pour qu’aucun tort de forme ne put lui être reproché. Elle a montré, dans ce rôle, un beau sang-froid, celui d’une nation vraiment forte et qui se sent telle, et on ne peut que l’en féliciter. Sans doute, elle n’abandonnera rien de ses intérêts, mais elle évitera tout ce qui pourrait en envenimer la défense. Et cette attitude, dans un pays dont les passions sont pourtant violentes et même brutales, est celle de tout le monde. Chacun sent la responsabilité qui pèse sur lui. M. Thiers, dans son fameux discours sur les libertés nécessaires, parlait du rôle de la presse « dans un État dont l’éducation est faite. » L’éducation politique de l’Angleterre est faite : il suffit malheureusement de lire nos journaux pour s’apercevoir que la nôtre ne l’est pas encore.

L’incident qui vient de se produire a eu un certain nombre de conséquences assez imprévues. En présence de la crise financière qu’il a imprudemment provoquée, M. Cleveland s’est ému, et il a adressé un second message au Congrès pour lui demander d’y apporter des