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comprendre, il faut remonter à son origine. Le 2 décembre 1823, le Président Monroe, dans un message au Congrès, l’a exposée pour la première fois. Elle tirait tout son intérêt des circonstances. Les colonies espagnoles et portugaises de l’Amérique du Sud luttaient pour leur indépendance et étaient sur le point de la conquérir. En même temps, la France de la Restauration intervenait en Espagne pour rétablir le pouvoir absolu aux mains de Ferdinand VII, et la Sainte-Alliance était derrière elle. De plus, des questions de frontières étaient soulevées entre les États-Unis, la Russie et l’Angleterre. Les États-Unis avaient deux craintes : la première de voir les puissances européennes, qui appliquaient entre elles l’intervention armée dans l’intérêt de certains principes, l’appliquer également en Amérique dans l’intérêt des mêmes principes ; la seconde que ces mêmes puissances, qui invoquaient le titre de premier occupant pour légitimer leur prise de possession de certaines portions du continent américain, ne retendissent à l’avenir à d’autres parties de ce territoire, — et c’est contre ce double danger que le Président Monroe a protesté. Il a déclaré que les États-Unis ne prétendaient acquérir ni s’annexer aucune des anciennes possessions de la couronne d’Espagne en Amérique, et qu’ils ne mettraient aucun obstacle aux arrangemens amiables que la métropole pourrait négocier avec les colonies émancipées : toutefois, ils repousseraient par tous les moyens en leur pouvoir l’intervention des autres États, sous quelque forme qu’elle se produisît, surtout si elle avait pour but d’implanter dans les colonies, par voie de conquête ou à prix d’argent, une souveraineté autre que celle de l’Espagne. Mais ce n’est pas ici le lieu de faire l’histoire de la doctrine de Monroe et des développemens qu’elle a pris par la suite. Elle s’est bientôt résolue dans les deux termes suivans : opposition aux gouvernemens européens qui voudraient imposer par la force leurs propres principes aux républiques américaines, et opposition aussi à ceux d’entre eux qui prétendraient, en vertu du fait de première occupation ou de première exploration, acquérir des droits souverains sur les territoires américains. À ce dernier point de vue le droit public américain devait être le même que celui de l’Europe.

Il y avait dans les déclarations de Monroe une intelligence très profonde et très prévoyante des intérêts communs au continent américain tout entier. Elles étaient d’ailleurs rédigées dans le langage le plus élevé. « Le système politique des puissances coalisées de l’Europe, disait Monroe, est essentiellement distinct de celui que nous avons adopté, ce qui s’explique par la différence fondamentale existant dans la constitution même des gouvernemens respectifs. Mais la bonne foi et les liens d’amitié qui nous unissent aux puissances alliées nous font un devoir de déclarer que nous considérerions comme dangereuses pour notre tranquillité et notre sécurité toute tentative de leur part d’étendre