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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.



31 décembre.


Il y a quinze jours, toute l’attention était concentrée sur les affaires d’Orient et d’Abyssinie. Personne ne se doutait que le plus bruyant des coups de clairon était sur le point de retentir de l’autre côté de l’Atlantique, et qu’on allait se demander si un conflit redoutable n’éclaterait pas entre l’Angleterre et les États-Unis. On savait bien qu’une négociation laborieuse se poursuivait entre les deux pays, à propos d’une contestation beaucoup plus ancienne ; mais on ne s’en occupait guère, on s’en préoccupait encore moins, et il ne semblait pas qu’un pareil litige fût de nature à inspirer jamais de sérieuses inquiétudes. À tout prendre, on n’avait pas tort. Ce qui s’est passé dans ces derniers jours achève de nous en convaincre. Toutefois, au premier moment, la surprise a été si vive, la secousse donnée à l’opinion dans les deux mondes a été si brusque, qu’on s’est demandé ce qu’il fallait en penser. Le feu a été mis non pas aux poudres, heureusement, mais aux esprits, par un message de M. Cleveland au Congrès des États-Unis. M. Cleveland est un homme sage : du moins, il a passé pour tel jusqu’aujourd’hui. Aussi, lorsqu’on l’a vu casser les vitres, et avec fracas, a-t-on été porté à croire qu’il s’agissait d’une affaire très grave, et que tant de bruit n’était pas fait autour de rien. C’est le 17 décembre qu’a été lu au Congrès le message de M. Cleveland : dès le lendemain, une sorte d’anxiété régnait dans le monde entier.

Le message présidentiel était accompagné des notes échangées entre l’Angleterre et les États-Unis. La lecture en est des plus instructives, et nous y reviendrons ; mais pour mettre un peu de lumière dans une question aussi compliquée, il faut procéder avec ordre, et commencer par dire de quoi il s’agissait. Le conflit anglo-vénézuélien a son origine dans le traité de Vienne, qui a attribué à l’Angleterre une partie de la Guyane hollandaise, près des possessions espagnoles de la Côte-Ferme. Les limites de la nouvelle possession britannique étaient dès lors mal déterminées. Si les Européens avaient fait des établissemens sur les côtes, ils n’avaient pas encore pénétré dans l’intérieur du pays et ils le connaissaient imparfaitement. La frontière présumée entre la Guyane anglaise et le Venezuela était l’Essequibo.