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Wagner, incomparable, ainsi que les chœurs, merveilleusement dirigés par Fischer. Parmi les chanteurs, Tichatchek, le héros des ténors, et la grande Schrœder-Devrient, l’artiste dramatique la plus géniale qui ait jamais paru sur la scène allemande. » Tout ce qui lui restait à apprendre de son métier, Wagner l’apprit là : et il y apprit aussi que, même dans les conditions les plus favorables, il n’y avait rien à espérer des théâtres allemands pour l’art tel qu’il le rêvait. « Vainement j’essayai, nous dit-il, d’introduire des réformes, de remporter au moins quelques victoires partielles sur l’esprit de routine, d’ignorance, et de mauvais vouloir qui régnait là comme partout. Mes efforts échouèrent, et je dus enfin me convaincre que le plus sage parti était pour moi de me désintéresser tout à fait de ces institutions frivoles. »

Survint cette insurrection de mai 1849, où Wagner prit résolument, contre la Prusse, le parti des insurgés, ce qui lui valut, non point, comme on l’a dit, une condamnation à mort, mais un long exil, et l’entrée dans une vie nouvelle. Déjà précédemment M. Chamberlain avait élucidé le problème historique du rôle joué par Richard Wagner dans cette insurrection : rôle qui, toute vérification faite, se réduit en somme à fort peu de chose. Wagner était profondément révolutionnaire, plus profondément peut-être qu’aucun des chefs de l’insurrection, car il rêvait une transformation complète de la société présente. Mais la politique actuelle ne l’intéressait pas ; la révolution telle qu’il l’entendait n’avait rien à espérer d’un soulèvement armé ; et tous les récits des témoins peuvent se résumer, sur cet épisode de sa vie, dans l’affirmation de Bakounine disant de Wagner à ses juges que « pas un moment il n’avait pris au sérieux le rôle révolutionnaire de ce songe-creux. »

Le chef d’orchestre du Théâtre Royal n’en fut pas moins contraint à s’enfuir, après l’échec de l’insurrection. De ce séjour à Dresde datent ses deux grands opéras, Tannhæuser et Lohengrin, la première esquisse des Maîtres Chanteurs, le projet primitif de l’Anneau du Nibelung, et le plan d’un drame chrétien, Jésus de Nazareth.

Après un court passage à Paris, Wagner s’installe à Zurich, où il reste dix ans, jusqu’en 1859, tout entier à son rêve de rénovation artistique. C’est durant ces années d’exil que lui viennent enfin des amis, qui comprennent sa valeur et le soutiennent de leur mieux : Liszt, Richard Pohl, Brendel, Bulow, Franz Muller, Uhlig, les premiers wagnériens. Encouragé, soutenu par leur amitié, Wagner se met au travail : et d’abord, durant deux longues années, il s’efforce de parvenir « à la pleine conscience de son idéal. » C’est de cette période que datent ses principaux Écrits théoriques, l’Art et la Révolution, l’Œuvre d’Art de l’avenir, Opéra et Drame, la Communication à mes Amis, toutes œuvres écrites surtout pour se rendre à soi-même un compte plus