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en faisait pas moins de cruelles piqûres. C’était la tribu célèbre des Uscoques. Ce ramassis de brigands et de transfuges s’était formé dans la première moitié du XVIe siècle à l’abri des îlots qui découpent le fond de la mer Adriatique, et s’était cantonné autour de la ville de Segna. De là, il menaçait sans cesse la navigation, attaquant, le plus souvent les Turcs, mais faute de mieux, s’en prenant aux Vénitiens. Venise avait la prétention de faire la police de ses eaux. Elle résolut de mettre le pied sur ce nid de forbans. Mais elle se heurta à la maison d’Autriche. En effet, les Uscoques s’étaient mis sous la protection de l’archiduc Ferdinand d’Autriche, proche parent de l’Empereur. Segna était situé sur son territoire. Au cours de leur expédition, les troupes vénitiennes avaient ravagé les terres de l’archiduc. Les sujets de Ferdinand se vengèrent, et le sénat de Venise, sortant des bornes de sa prudence habituelle, se décida à entrer en guerre ouverte avec l’archiduc. En décembre 1615, le généralissime des forces vénitiennes, Pompeo Frangipani, avait reçu l’ordre de mettre le siège devant la ville autrichienne de Gradisque. Pompeo passait pour un bon général, mais ses troupes étaient déplorables : « La lâcheté et la bonhomie de ses soldats que les prières, l’autorité, les menaces et les coups de leurs capitaines ne purent jamais déterminer à tenter l’escalade, firent échouer l’entreprise. » Quelque temps après, P. Frangipani fut tué dans une reconnaissance. On lui éleva un tombeau magnifique et une statue équestre. Mais cela ne constituait pas une armée pour son successeur, Jean de Médicis.

Or, justement, Don Pedro de Tolède, ayant assumé le gouvernement du Milanais, menaçait de prendre Venise à revers. Les affaires de l’Espagne étaient étroitement jointes à celles de l’Autriche. Il pensait que l’occasion était excellente pour briser d’un coup la force de l’orgueilleuse République. Au même moment, deux autres Espagnols non moins redoutables, le vice-roi de Naples, le célèbre duc d’Ossuna, et l’ambassadeur du roi catholique près de la République, le marquis de Bedmar, méditaient aussi sa perte. Un vaste complot, sur les origines et la portée duquel le dernier mot n’est pas dit encore, était tramé au sein des armées de mercenaires enrôlées à prix d’or par le Sénat, et jusque dans la ville même.

Dans ce péril, Venise, à son tour, cherchait des alliés. Il est naturel qu’elle ait pensé tout d’abord au duc de Savoie : un intérêt commun rapprocha les deux adversaires de Don Pedro de Tolède. Un traité d’alliance fut donc signé entre eux, le 21 juin 1615, à Asti. En cas de rupture nouvelle avec l’Espagne,