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Turkestan, c’est-à-dire la Sibérie orientale, la Chine, l’Inde et la Perse. — D’où résulterait en fin de compte la confirmation de l’endémicité de l’influenza dans les steppes centrales de l’Asie. Elle y ferait élection de domicile, tout comme le choléra dans le bassin du Gange. Grippe asiatique ! choléra asiatique !… voilà certes un rapprochement des plus suggestifs, bien près de nous donner une séduisante explication des affinités évolutives de ces deux grandes pandémies. Mais c’est surtout dans la poursuite du problème si complexe de leur étiologie respective que se révèle l’étrange analogie de leurs destinées scientifiques : stupéfaction absolue et universelle des premiers observateurs, théories incohérentes et spécieuses, discussions passionnées et jamais résolues, exclusivisme intransigeant des interprétations météoriques ou telluriques les plus contradictoires, elles ont traversé l’une et l’autre les mêmes phases de stériles et irritantes controverses pour parvenir au rang précis, nous voudrions dire définitif, qu’elles devaient nécessairement occuper dans la pathologie actuelle. Le lecteur a certainement deviné à quelle merveilleuse intervention nous sommes aujourd’hui redevables d’un résultat si vainement cherché par nos devanciers. Les lumineuses projections du microscope pénètrent chaque jour plus avant dans la nuit des causes premières pathologiques, réputée naguère à jamais insondable.

En ce qui concerne le choléra, la découverte du bacille virgule par Robert Koch, en 1885, d’abord sceptiquement accueillie, confirmée depuis par une rigoureuse observation, parait avoir irrévocablement imposé silence aux dangereuses affirmations des non-contagionnistes. Victorieuse dans cette grande campagne anticholérique, la bactériologie allait-elle échouer dans ses investigations sur la genèse de la grippe ?… L’épidémie de 1889 venait, sous ce rapport, offrir aux microbiologistes un champ d’expériences illimité. Aussi pouvons-nous affirmer que jamais croisade scientifique n’inspira d’entrain plus spontané, plus universel, et plus soutenu.

De cette remarquable marche d’ensemble à la conquête du bacille grippal nous ne présenterons à nos lecteurs que les résultats marquans qui, de 1889 à 1895, en ont jalonné les étapes plus ou moins précipitées. C’est d’abord la timide apparition des hématozoaires de Klebs, qui devait être plus heureux dans ses recherches sur le bacille de la diphtérie ; puis celle du streptocoque de Vaillard et Vincent ; du coccus lancéolé de Kruse et Pansini ; du pneumo-bacille de Jolies, découvertes éphémères, dont les déductions prématurées s’accordaient à confirmer cette décevante