et, surtout, ne pas avoir à enregistrer le récit de nouveaux et douloureux sacrifices !
D’où nous vient l’influenza et quelles en sont les causes ?… Il n’est pas douteux, d’après l’ordre de marche constamment suivi par les grandes invasions grippales, que le fléau ne nous vienne de l’Orient. On peut même en suivre assez exactement les traces jusqu’au milieu de ces vastes plaines de l’Asie centrale qui, des dernières ramifications des monts de Samarkande et de Taschkent, descendent vers la mer d’Aral par un insensible glacis. Régions aux saisissans contrastes, où les hivers sibériens sont brusquement chassés par des étés torrides ! où, sur un fond sans limite d’extrême aridité, se détachent, avec une surprenante opposition de teintes, des nappes lumineuses semblables à des mers intérieures, et une multitude de lagunes marécageuses qui furent elles-mêmes, il y a des siècles, autant de méditerranées aux bords indécis, aux orageuses surfaces. Les unes et les autres représentent aujourd’hui, dans cette colossale cuvette de 2000 kilomètres de diamètre, et de faible profondeur, les restes d’un océan progressivement épuisé par l’insatiable pouvoir d’absorption des vents de nord-est, dont le souffle tour à tour dévorant ou glacé, mais toujours impétueux, condamne fatalement le sol à une éternelle stérilité. De très rares cours d’eau, issus de la zone montagneuse, se fraient un pénible chemin à travers ce morne désert, où ils ne tardent pas à disparaître, subitement engloutis dans les profondeurs d’un sable inassouvi. Seuls l’Amou et le Syr-Daria conduisent au lac d’Aral, à 400 kilomètres de distance, avec une égale et noble lenteur, leurs ondes jaunâtres, à peine contenues par des berges bourbeuses et changeantes. Tel serait, sous la très vraisemblable influence de conditions climatologiques et telluriques exceptionnelles, le milieu natif de l’influenza.
Il paraît, en tout cas, certain que la grande épidémie de 1889 régnait à Boukhara six mois avant son apparition en Europe, et il est à peu près démontré que les manifestations grippales sont d’observation courante dans les campemens des nomades kirgizes, ces dignes successeurs de leurs barbares ancêtres, les Scythes et les Huns. On sait aussi que la grippe n’apparaît qu’à l’état épidémique, peut-être même plus rarement qu’en Europe, dans les contrées limitrophes situées au nord, à l’est et au sud du