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Au clair de la lune,
Mon ami Pierrot,
Prête-moi ta plume
Pour écrire un mot.
Ma chandelle est morte,
Je n’ai plus de feu :
Ouvre-moi ta porte
Pour l’amour de Dieu.
Chanson populaire.


Le maître de chapelle eut à peine interrogé de l’archet la viole bourdonnante, qu’elle lui répondit par un gargouillement burlesque de lazzis et de roulades, comme. si elle eût eu au ventre une indigestion de comédie italienne.


C’était d’abord la duègne Barbara qui grondait cet imbécile de Pierrot d’avoir, le maladroit, laissé tomber la boîte à perruque de M. Cassandre et répandu toute la poudre sur le plancher.

Et M. Cassandre de ramasser piteusement sa perruque, et Arlequin de détacher au viédase un coup de pied dans le derrière, et Colombine d’essuyer une larme de fou rire, et Pierrot d’élargir jusqu’aux oreilles une grimace enfarinée.

Mais bientôt, au clair de la lune, Arlequin, dont la chandelle était morte, suppliait son ami Pierrot de tirer les verrous pour la lui rallumer, si bien que le traître enlevait la jeune fille avec la cassette du vieux.

— « Au diable Job Hans le luthier qui m’a vendu cette corde ! » s’écria le maître de chapelle recouchant la poudreuse viole dans son poudreux étui. — La corde s’était cassée.


Bertrand était venu pour la première fois à Paris sur la fin de 1828, lorsqu’il s’était trouvé libre par suite de la suspension du Provincial de Dijon : sitôt débarqué dans la capitale, il était allé frapper à la porte de ses amis politiques et littéraires qui lui avaient plus d’une fois adressé de précieux éloges. « C’était un pauvre diable, écrit-il lui-même en parlant de Gaspard, dont l’extérieur n’exprimait que misère et souffrances. J’avais déjà remarqué, dans le même jardin, sa redingote râpée qui se boutonnait jusqu’au menton, son feutre déformé que jamais brosse n’avait brossé, ses cheveux longs comme un saule, et peignés comme des broussailles, ses mains décharnées pareilles à des ossuaires, sa physionomie narquoise, chafouine et maladive, qu’effilait une barbe nazaréenne, et mes conjectures l’avaient charitablement rangé parmi ces artistes au petit pied, joueurs de violon et peintres de portraits, qu’une faim irrassasiable et une soif inextinguible condamnent à courir le monde sur la trace du Juif errant. » Ce profil disgracieux était, paraît-il, d’une ressemblance douteuse, même en admettant les droits de la caricature, et Sainte-Beuve oppose à la silhouette trop fantaisiste de Gaspard le vrai portrait